Des diables et des saints, de Jean-Baptiste Andrea

Un jour j'ai compris le rythme ..

Des diables et des saints est un très joli livre que je vous conseille sans hésiter, au-delà du fait que j'ai souhaité l'intégrer dans mes recommandations pour notre Book Club thématique consacré à La Musique. Je ne suis d'ailleurs pas bien étonné de le voir lauréat du Prix Livres & Musique 2021, et du Grand Prix RTL-Lire 2021 !
Il dépeint un contexte et des personnage que nous avons déjà vus dans des films merveilleux, lus dans d'autres romans. Mais une note particulière vient relever le tout et fait du récit à la fois une douceur et une splendeur.

« Vous me connaissez. Un petit effort, souvenez-vous. Le vieux qui joue sur ces pianos publics, dans tous les lieux de passage. Le jeudi je fais Orly, le vendredi, Roissy. Le reste de la semaine, les gares, d'autres aéroports, n'importe où, tant qu'il y a des pianos. On me trouve souvent gare de Lyon, j'habite tout près. Vous m'avez entendu plus d'une fois. »
Le roman s'ouvre sur ces mots. Et en effet, le narrateur est en train de jouer dans un lieu public. Les mélomanes s'arrêtent, admirent son talent, sa maîtrise. Et s'étonnent de le voir jouer là, au lieu d'être en train de faire un récital à la Salle Pleyel ou dans d'autres lieux réputés, à la hauteur de son jeu. Mais non, ma place est ici, leur dit-il. Un jour un passant, déjà rencontré, revient le voir et insiste. Cette fois notre pianiste se décide à donner un peu plus d'explication. Venez, nous allons prendre un café. Et il raconte son histoire, à ce passant, et par là-même, à nous, lecteurs. C'est l'histoire d'un garçon dont la vie va être chamboulée. Une rupture douloureuse l'arrachera à sa tendre vie et le projettera dans un orphelinat de garçons. Un horrible lieu. Où l'âme et le corps sont chaque jour brisés, humiliés. Il se fera des amis. Et le piano sera là pour le sauver ..

Car, voyez-vous, dans ses jeunes années de bonheur il prenait des cours de piano. Son professeur de piano, personnage atypique, tentait de lui faire entendre la musique, entrapercevoir le rythme. Mais quand bien même la technique de l'adolescent était déjà évoluée, il ne parvenait pas à saisir ce que son professeur s'échinait à lui faire comprendre. C'est au fil du temps, et des travers que lui réservent la vie, qu'il commencera à entendre le souffle invisible et essentiel, pour l'intégrer un jour au tréfonds de son être et le rendre au piano.

Entendre le secret de La Musique n'est pas donné à tout le monde. Transcrire cela en littérature, est chose tout aussi impossible. Jean-Baptiste Andrea parvient à le faire, et sa recette est simple : il dit les hommes et leur résonnance. Non seulement on s'attache aux personnages mais on hume leur subtilité, leur complexité. Et, puisque la musique naît d'un entrelacement harmonieux de notes et de mélodies, de silences et de mouvements, Des diables et des saints s'intéresse aux relations entre des êtres humains à mille lieues les uns des autres.
Ces orphelins sont réunis là malgré eux. Ensemble, ils se trouvent. Unis, ils s'expriment ou se taisent. De là naîtra une forme de liberté, un soupçon de joie .. armes redoutables pour faire front au malheur et à l'injustice.

- Dans l'andante de la n°15, le rythme est essentiel. Tu voix comment elle s'appelle ?
Je me penchai pour lire la partition.
- Euh, « Pastorale ».
- Ça parle de quoi  ?
- De bois, de ruisseaux ?
- Schmegegge ! Des bois, des ruisseaux, n'importe quoi ! Tu entends cette pulsation à la main gauche ? C'est un type qui les enjambe, tes bois. Il monte sur les épaules de Bach pour voir par-dessus les arbres. Et toi tu joues ça comme un schmock endormi dans l'herbe après avoir trop mangé. Comme un ivrogne qui cherche une femme dans le bois de Boulogne. Pousse-toi, bon sang, je vais te montrer.
Il fondit sur le piano sans même s'asseoir. Et je vis des choses que je ne compris que plus tard. Je vis des géants danser. Je vis un aigle piquer, tisser un ourlet bleu à la surface d'un lac. Quand il eut fini, je me mis à crier, parce que j'avais eu peur. Peur d'être écrasé. Peur d'être emporté.

C'est étrange comme le récit peut nous laisser une sensation chaleureuse alors que dans l'histoire narrée le vécu de ces garçons est pierreux et heurté. Et peut-être que c'est précisément la note qui m'a d'abord intriguée puis conquise dans le fil du récit. Les parcours humains les plus rudes et les plus riches offrent en retour une certaine hauteur. Le regard de notre narrateur s'élève à un moment donné. De la monstruosité, de la violence qui lui est infligée, il ne voit plus que la souffrance de celui qui l'exerce. Nul n'est mauvais. Dès lors, sa musique, jouée au piano, s'amplifie, et le lecteur, parce qu'il l'entend, verra des géants danser.

DES DIABLES ET DES SAINTS
Jean-Baptiste Andrea
éd. L'Iconoclaste 2021
Prix Livres & Musique 2021
Grand Prix RTL-Lire 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Piano gare du nord,
- Film documentaire Un piano sur les routes de l'Himalaya.
La photographie mettant en scène la couverture du livre est de © murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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