Une république lumineuse, d’Andrés Barba

Les enfants sauvages ?

Andrés Barba n'en est pas à son premier roman mais c'est par celui-ci, paru au printemps 2020 dans sa version française chez Christian Bourgois, que je découvre l'auteur espagnol. D'une grande beauté, Une république lumineuse a remporté le prestigieux prix littéraire Herralde à sa sortie en Espagne. C'est sur la recommandation d'une écrivaine, traductrice et merveilleuse lectrice que je me suis plongée dans le roman. À mon tour je vous le recommande et vous invite à le faire découvrir autour de vous parce qu'il a dû être desservi par le contexte du confinement et déconfinement qui l'a vu arriver dans les librairies.

L'histoire se déroule dans la petite ville de San Cristobal. Le narrateur se remémore les événements dont il a été le témoin direct une vingtaine d'années auparavant. Dès les premiers mots nous savons que cet homme a vécu un drame qu'il n'a su prévenir à temps. Nous apprendrons progressivement qu'il a pris part aux décisions terribles qui ont engendré un dénouement malheureux. Comme tous les autres adultes de la ville il a pris conscience, il a réalisé l'horreur de leurs actions, bien trop tard... La situation peut se résumer en quelques mots : la ville de San Cristobal est constituée de familles honnêtes. À la frontière de la ville vivent les communautés indigènes. Aussi il n'est pas inhabituel de voir des enfants dans les rues. Or un jour d'autres enfants font leur apparition dans la ville. Les habitants vont commencer à se sentir menacés par ces enfants et très jeunes adolescents semi-délinquants. Et leur peur les perdra, en les poussant à un acte aux conséquences terribles.

Nous sommes dans un roman sur l'enfance ; dédié à l'innocence et à la sensibilité humaine. On est toujours ému par le charme de ses propres enfants, ou de ceux qui relèvent du même parcours. Mais serait-on capable de reconnaître cette même candeur chez des gamins livrés à eux-mêmes. Des petits monstres nous toucheraient-ils ?
L'enfant sauvage déstabilise. Mais n'est-il pas craint précisément parce qu'il reflète ce que nous nous sommes évertués à écarter de nous, à éviter ? Ainsi, l'évitement de l'Autre est ici mis en lumière de manière flagrante. Et je peux vous le dire, l'histoire est poignante, avec une scène de clôture monumentale. Bien entendu, lorsque la révélation se fait, comme je vous le disais plus avant, il est trop tard. Et le lecteur pourra se demander s'il aurait agi autrement que ces adultes insensés. Pour se rappeler aussitôt que tout le temps de la lecture il aura été de leur côté, et aura partagé le bien fondé de leur position.

Et les enfants de la ville, la descendance de tous ces honnêtes gens, comment vivent-ils l'histoire ? Plongée dans le récit j'ai eu le sentiment à un moment donné de me trouver dans un roman fantastique. La réaction des enfants est incompréhensible. Ils semblent communiquer avec les gamins bannis. Ils les entendent. Eux-mêmes se mettent à disparaître. Où sont-ils partis, mais où se cachent les affreux délinquants qui font dévier le chemin des tendres petits de San Cristobal. L'atmosphère que crée Andrés Barba dans son récit vaut en lui-même le détour. Il donne naissance à un univers, autre. Et dans cet autre monde les enfants ont créé un langage, déchiffrable par les enfants seuls !

La voix du narrateur est mélancolique, elle est lucide, elle est désolée et désolante. Elle semble sortir des ténèbres, elle voudrait nous hanter. Mais puisque l'on veut connaître l'histoire, on restera à son côté, on tendra l'oreille et bien des images se dessineront sous nos yeux sensibles. L'enfant en nous voudra-t-il bien se réveiller et aimer, chérir, un instant, au lieu de juger ? Une république lumineuse, nous y incite.

UNE REPUBLIQUE LUMINEUSE
Andrés Barba
Traduit de l'espagnol par François Gaudry

éd. Christian Bourgois 2020
Prix Herralde 2017

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Street Art Mexique,
- Bill Viola.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment