La disparition de Jim Thompson, de Vincent Hein

Mieux vaut ne pas savoir ?

Certains destins sont si hors de l'ordinaire qu'ils paraissent relever de la fiction. Mais nous savons bien que, souvent, l'étrangeté de la réalité dépasse celle de la fiction. Vincent Hein fait le récit d'un tel destin dans La disparition de Jim Thompson. Sous une plume se nourrissant de l'art d'un roman policier, l'auteur enquête. Et nous dévoilera ces secrets longtemps gardés par les services des renseignements américains.

La figure de Jim Thompson a fasciné plus d'un écrivain, à commencer par Somerset Maugham qui était son contemporain et lui rendait visite lorsqu'il était de passage à Bangkok. Sa maison est devenue un musée, une visite à ne surtout pas manquer lorsqu'on se trouve en Thaïlande. Épris d'art, il s'en est nourri et a consacré sa richesse à lui rendre grâce sous toutes ses formes. On sait aussi le rôle qu'il a joué pour favoriser le renouveau de la soie.
Mais ce récit, volontairement romancé, commence par la fin, le jour de sa disparition en mars 1967 en Malaisie. Les époux Ling qui accueillaient leur ami ponctuellement signalent sa disparition. Les inspecteurs arrivent, le général arrive, la CIA arrive. Et chapitre après chapitre, Vincent Hein nous entraîne dans les dessous de l'histoire au côté du journaliste Alexander McDonald. Nous arrivons à mieux saisir le personnage, haut en couleur, du disparu. Nous espérerions presque qu'il se soit volatilisé sciemment ..

Le fil directeur est l'enquête, mais inséré au sein de cette trame, se trouvent tous ces détails qui nous font entrer dans la vie de cet homme, dans sa maison, dans ses quêtes et tout près de ses amis et âme-sœurs. Le parfait homme d'affaires américain, qui devient collectionneur d'art asiatique. Il avait choisi de vivre en Thaïlande depuis vingt ans déjà, au moment de sa disparition, à l'âge de soixante et un ans. Vincent Hein nous invite à accepter que cet homme aimait ces pays d'Asie, ses hommes et ses arts. Mais l'on ne choisit pas son époque. Et tout cela se déroule durant les années Vietnam.

Nous avons tous lus des articles et essais sur la collaboration d'artistes, intellectuels, écrivains aux tâches incombant aux services secrets durant la seconde guerre mondiale et dans l'après guerre. Somerset Maugham en étant un parfait exemple.
Quel rôle a joué Jim Thompson auprès de l'OSS et de la CIA. Serait-il possible qu'à un moment de l'Histoire il ait cessé d'être aveuglément fidèle aux desseins de son pays de naissance ?
Le fil est très joliment délié dans ce livre. Et étrangement - le lecteur le réalisera bien tard - la vraie question n'est pas là. Le propos de l'auteur est de questionner, et de nous remettre en mémoire tout ce que nous savons déjà, bien-sûr, mais dont nous avons oublié l'ampleur et les dégâts. Qu'ont-ils vécus les Vietnamiens, et le Laos, et pourquoi, et comment ?

En lisant certaines pages on a le cœur déchiré. Les chiffres sont terrifiants. Le fameux nombre de bombes qui ont été lâchés en un si petit périmètre, en si peu de temps, par ce grand pays qui combat l'axe du mal, nous donne la chair de poule. Mais à aucun moment on n'interrompt sa lecture parce que l'art du romancier essayiste Vincent Hein prend le dessus.

LA DISPARITION DE JIM THOMPSON
Vincent Hein
éd. Arléa, 2021
Collection La rencontre
Sélection Prix Femina 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Couverture du livre de William Warren et Graham Byfield : Jim Thompson, The Thai Silk Sketchbook où l'on voit la maison du collectionneur d'art,
- Maison de Jim Thompson en Thaïlande devenu aujourd'hui un musée.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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