Voyage d’hiver, de Jaume Cabré

Les écrivains français ne savent pas bien faire des nouvelles, et naturellement le lecteur français est moins adepte des recueils de nouvelles. Et pourtant, lorsqu’un recueil est bien pensé, bien construit et nourri de pépites cela donne un trésor de littérature. Jaume Cabré, écrivain catalan, est connu en France pour son Confiteor, roman magistral et exigeant qui a rebuté le lectorat britannique mais enchanté les lecteurs persévérants de l’hexagone. Ce Confiteor attend sagement dans ma grosse pile de « livres à lire demain », mais puisque ce même écrivain a su faire l’exercice inverse, écrire du très court et très direct, je me suis laissé tenter par cette autre entrée dans son oeuvre ! Et je m’incline devant le tour de force que représente ce Voyage d’hiver.

Ces quatorze nouvelles ont été écrites au cours des vingt dernières années. C’est en 2014 que l’auteur les a compilées pour ce recueil. Toutes abordent pourtant un même thème, et elles se font mille clins d’œil, parfois par un personnage qui se retrouve ici et là, parfois par une oeuvre d’art qui resurgit dans plusieurs nouvelles. Au cœur de ces histoires, vogue l’Art. Musique, peinture, littérature, quelle que soit sa forme, c’est l’art qui détient le rôle central, et tire les ficelles, agit sur les hommes, les sauve ou les perd mais toujours les éclaire. Le style des nouvelles est malgré tout très varié. Et pour ma part, moi qui suis quelque peu mièvre dans le fond, c’est la première moitié des nouvelles qui m’a le plus enchantée. Dans la deuxième moitié le grinçant, l’enlevé, le cruel et le grand Mal m’ont un peu ébouriffée !

Il n’en reste pas moins que Jaume Cabré maîtrise l’art de la nouvelle. Les chutes sont vertigineuses, les sentiers empruntés rocailleux à souhait ; le début, la fin et le milieu parfaitement tenus… Les personnages sont rendus avec finesse ; leurs étoffes et rugosités sont riches durant cette minuscule tranche de vie où nous les côtoyons. Dans ce bref laps de temps l’intégralité de leurs parcours apparaît, tel un coup de tonnerre qui vient faire feu dans notre esprit.

Une des nouvelles de ce recueil m’est allé droit au cœur. Pour cette seule nouvelle j’aurais acheté le livre… Un homme et une femme apprennent à se connaître et s’aimer par la pure grâce de ce que j’appelle la « communication d’esprit ». Et leurs esprits dialoguent et pensent en un langage précis : la littérature ! Eh oui, les mots échangés, les images véhiculées sont tous sortis de livres. Les paroles et les regards de ces deux-là sont des citations et des projections d’images et de personnages plus vrais que réels, tous faits de papier et d’encre, tous résidant dans les pages des moult ouvrages de la bibliothèque de la maison. Moi qui croise des Madame Verdurin, petit Nicolas, Yudishtira, Sita, Pénélope, Komako et Mr. Stevens dans chacun de mes instants de vie sociale, je ne peux qu’adhérer à l’authenticité de ces deux personnages délicieusement farfelus !

Si je vous disais que l’écrit est rose, je ne serais pas honnête. Jaume Cabré fait du sombre, mais la profondeur de ses textes étincelle de mille teintes de gris et en cela nous sommes toujours dans le lumineux.

VOYAGE D’HIVER
Jaume Cabré
traduit du catalan par Edmond Raillard
Ed. Actes Sud, 2017

 

 

Les illustrations présentées sont les oeuvres de :
– Garella,
– Pat Perry

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