Sarinagara, de Philippe Forest

Sarinagara est un de mes livres fétiches. Je pense qu’il devrait faire partie de toutes les bibliothèques, être régulièrement lu et relu…

Le narrateur se promène d’une ville japonaise à une autre et parcourt successivement les vies du poète Kobayashi Issa, de l’écrivain-poète Natsume Soseki et du photographe Yamahata Yosuke. Il nous parle de lui-même en nous parlant d’eux. Il trace leurs chemins de vie en tentant de délier les noeuds de son propre cheminement. Sarinagara veut dire « et pourtant, et pourtant ». Un mot qui contient le livre entier, inspiré par ce haïku d’Issa :

je savais ce monde
éphémère comme rosée
et pourtant, et pourtant

Longtemps durant la lecture on ne sait pas bien ce qui relie ces trois hommes et l’humeur du narrateur. À peine pense-t-on avoir saisi un fil d’or qu’il se désagrège entre nos mains. Tournoyant dans la légèreté accablante du voyage littéraire le lecteur finit par lâcher prise : il ne fait plus que lire, et vogue le navire… Si proches du monde, si loins de la société des hommes, si sensibles et pourtant si progressivement détachés, côtoyant une part de folie parfois, ces trois artistes auront eu une quête malgré tout, sans le savoir bien-sûr…

On ne sait très bien ni comment ni pourquoi mais Issa fait le seul choix raisonnable : il s’en va. Sans bruit, il se retire et se livre tout entier à la seule expérience qui le concerne. Il le fait sans fracas. C’est à peine si les annales de son époque conservent la trace de son passage. Quelque chose d’autre le requiert. On peut nommer cela la vérité. D’une certaine façon il la trouve. (…)

Puisque l’écrivain a pour dessein de partager cette vérité insaisissable avec son lecteur, c’est le chemin qui y est mène qui sera le meilleur guide. Et j’ai admiré la façon littéraire de Philippe Forest de parsemer ce chemin de rapprochements entre cet Orient extrême et l’Occident. Sans cesse l’on nous élève à une vision du temps et de l’Histoire qui rejoindrait un éternel ici et maintenant :

Qu’est-ce qu’une vie ? Quelques dates qui figurent également dans le grand calendrier fictif de l’Histire universelle et, accrochées à ces dates, autant d’anecdotes minuscules qui, bientôt, ne concerneront plus personne. Issa naît en 1763, il grandira sous le shogunat de Tanuma Okigitsu et de son fils Okitomo. Louis XV règne alors sur la France, le divin Mozart a huit ans, Jean-Jacques Rousseau vient de signer Le Contrat Social, (…).

J’ai aimé lire Sarinagara. Mais je suis certaine que j’aimerais surtout le relire, le savourer de nouveau longuement et lentement. Car l’expérience de lecture que j’ai vécue se résumerait dans ces vers de T.S. Eliot :

… And the end of all our exploring
will be to arrive where we started
and know the place for the first time.

… et le terme de notre voyage
sera d’arriver là d’où nous étions partis
et de découvrir le lieu pour la première fois.

Extrait du poème « Le feu et la rose ne feront qu’un ».

Je remercie Liber & Co. pour m’avoir conseillé ce livre, si proche de mes sensibilités, et simplement si beau. Amateurs de Bretagne et de Belle-Isle, je vous encourage à vous rendre aux soirées littéraires délicieuses et mémorables des Liber.

SARINAGARA
Philippe Forest
éd. Gallimard, 2004

A ceux qui ont aimé ce livre je recommande aussi Chronique japonaise de Nicolas Bouvier (si vous ne l’avez déjà lu!)

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