Le secret du maître de thé, de Kenichi Yamamoto

Cela fait des décennies que je suis fascinée par le thé et les rituels qui l’accompagnent. Ma première approche littéraire de la question avait été basée sur « Le Maître de thé » de Yasushi Inoue, grand classique et texte intemporel. J’ai été bien surprise de voir qu’un écrivain contemporain avait eu l’audace de relater la même histoire, celle du maître de thé japonais, Rikyû, au service du Taiko Hideyoshi au XVIème siècle.  Toujours sous forme de roman « Le secret du maître de thé » nous raconte une histoire différente. Notons qu’il a remporté le prestigieux prix littéraire Naoki à sa sortie.

J’avoue que j’ai commencé par m’insurger de la nouvelle immage que Kenichi Yamamoto donne de Sen no Rikyu, ce personnage mythique que Yasushi Inouë m’avait fait connaître, autrement. Mais l’univers du thé est si sereinement dénoué et détaillé dans ce livre que je n’ai pas pu le lâcher. Captivée, j’ai réalisé que le roman lui-même était patiemment sublime. Rikyu est ici humanisé, mis dans la peau d’un homme doté de passions, voué donc à l’avidité et à l’ambition. L’ambition de recréer la beauté absolue telle qu’il l’a eu connue, un jour dans sa vie, alors tout jeune homme.

Le récit commence par la fin, par ce jour où Rikyu procède à son seppuku (hara-kiri comme on dit, à tort, en France) se soumettant à l’ordre de son Seigneur, le Taiko Hideyoshi. Chapitre après chapitre se dévoile une vie, parcourue à reculons, et nous remontons le cours du temps pour comprendre l’énigme de cette mort si aisément acceptée par le grand homme de thé. Je dois vous dire que j’ai rarement lu un livre aussi lentement, savourant quelques pages par jour, m’arrêtant en fin de sous-chapitres, sans ressentir le besoin de pousser plus loin, n’ayant nul désir surtout de voir le livre se terminer. Et chaque jour de lecture me fit le don de moments exquis partagés avec cet écrit singulier ; m’offrit surtout des soirées et des journées de méditation. Tout comme un éclairage tamisé il venait m’envelopper et faire éclore une pensée nouvelle en mon âme, se déployant hors des feuilles du livre tel un lotus qui sort la tête de l’étang marécageux pour ravir le lac de sa pureté sublime…

Au-delà de l’histoire contée l’auteur nous fait connaître une culture, à l’image des petits pas feutrés de la japonaise qui s’efface devant son compagnon de vie, le tout puissant homme, et qui sort de la pièce à reculons, le dos courbé, en faisant coulisser silencieusement la cloison de papier. Une culture faite de subtilités et de finesse, un monde exigeant et fascinant. Le thé, nous le savons bien, se mêle de tout, tant des phénomènes de société que des affaires politiques. Et ici nous sommes plongés dans l’univers de la politique et de la diplomatie, mais aussi de l’amour.

Ce roman est un de mes livres fétiches, et le restera. C’est avec émotion que je vous le recommande. Et je ne pourrais terminer cette chronique sans vous dire que j’ai trouvé le nom de mon site en lisant ce roman : “Quand on cueille les kakis à l’automne, on en laisse toujours un sur l’arbre, avec le souhait que la récolte sera abondante l’année suivante, et ce fruit est appelé kimamori (garde de l’arbre).”

LE SECRET DU MAÎTRE DE THÉ
Kenichi Yamamoto
Ed. Mercure de France, 2012 (v.o. 2008)
traduit du japonais par Yoko Kawada-Sim et Silvain Chupin
Prix Naoki 2008