L’Intranquille Quiétude des villes, rencontre entre Teju Cole et Ivan Vladislavic

En suivant l’échange entre Teju Cole et Ivan Vladislavic cette semaine à la libraire New-yorkaise 192books, j’ai été frappée par ce mot anglais « Quiet » qui est revenu dans la discussion à plusieurs reprises.

Nous avons tous lu le roman de Graham Greene qui porte le titre anglais « A Quiet American », traduit en français par « Un Américain bien Tranquille ». Et savons bien que ce tranquille en question renferme une intranquillité majestueuse. Les perturbations d’un lieu, le mal-être des personnages, forment une situation troublante pour dépeindre une époque et un pays.

Le sud-africain Ivan Vladislavic et l’américain nigérian Teju Cole prennent pour position centrale dans leurs romans respectifs un paysage urbain. Ils parlent de villes qu’ils connaissent, ressentent, souhaitent explorer et faire connaître. Pour ce faire ils mettent en scène un narrateur, le personnage principal, qui est plongé dans une ville et qui, au fil de l’histoire, y déambule longuement. D’un côté il s’agit de la ville de New-York, de l’autre de Johannesburg.

teju cole2D’après nos deux écrivains, « La solitude d’un homme face à cette masse que forme la ville et sa foule nombreuse » (j’emprunte la formule à Ivan Vladislavic), mieux que tout autre vecteur, communique au lecteur les émotions et l’intériorité du personnage. Cette émotion individuelle contient et véhicule une histoire collective. Et c’est ainsi que l’histoire du narrateur, du personnage fictif, transmet avec force l’Histoire d’un pays, et d’une certaine époque. Tout ce qui est indicible et indescriptible peut alors se faire jour et parler au lecteur, non pas à son intellect mais simplement à son cœur, à ses tripes.
Oui, ces deux livres « Open City » et « Double Négatif » semblent être très « quiet » dans leur structure et leur mode narratif et pourtant si peu quiets dans le message qu’ils contiennent.

Au moment où j’assistai à cette discussion entre les deux écrivains je n’avais pas encore lu les deux livres qui étaient au centre du débat ce soir-là. Je ne fais que vous retransmettre les mots prononcés, et ceux silencieux et non-dits, que nous livrèrent les deux hommes, profondément écrivains tous deux, de ceux pour qui l’écriture est vitale.

Ivan Vladislavic2J’ai aimé d’ailleurs les anecdotes qu’ils nous contèrent à ce sujet. Ivan Vladislavic a cité Roald Dahl parler de la différence entre un homme qui est écrivain et celui qui ne l’est pas : « L’écrivain est celui qui écrit », il est constamment en train d’écrire, de prendre des notes. Aussi bien Ivan Vladislavic que Teju Cole nous ont dit qu’ils avaient cette maladie de la prise de note constante ! D’ailleurs c’est ainsi que notre auteur sud-africain, en relisant ses carnets de notes a retrouvé dans ses écrits une nouvelle, écrite quasiment mot pour mot à l’identique dans deux calepins différents, à cinq années d’écart ! « J’ai pensé alors que ce devait être une bonne histoire, je l’ai travaillée et vais la publier dans mon recueil de nouvelles qui sortira bientôt ! ».

Teju Cole de son côté nous a rapporté sa rencontre avec cette dame japonaise vivant à Stockholm qui dès son enfance était en contact avec le monde des lettre. Elle n’avait jamais oublié un certain poète : lorsqu’elle était petite fille elle allait lui dire bonjour, se serrait dans ses bras, et se retrouvait immanquablement happée par le bruissement de paquets de feuilles fourrées dans les poches de sa veste. Il s’agissait de Thomas Tanströmer, nommé Prix Nobel de littérature bien des années plus tard.

Open City     Double Négatif

Ils nous dirent encore bien des choses que je ne peux restituer intégralement dans cet article. Mais je vous invite à découvrir leurs livres. Celui de Teju Cole, « Open City » est disponible en français aux éditions Denoël (collection Denoël & ailleurs). Le livre de Ivan Vladislavic « Double Négatif » est également disponible en français, publié par la maison d’édition suisse Zoé.

Merci mille fois à cette belle petite libraire, lieu intimiste qui regorge de trésors – la librairie 192books qui se trouve à Chelsea dans Manhattan – pour être là et nous offrir de connaître ces merveilleuses lectures, et bien d’autres encore.

Vous pourrez consulter ici les sites officiels de la librairie 192books, de Teju Cole, et d’Ivan Vladislavic.

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