Noir c’est Noir

67th-national-book-awardJ’avais bien compris que les intellectuels américains étaient choqués, effrayés, dévastés par l’élection de Trump. Bien des écrivains se sont exprimés sur le sujet dans les grands magazines et journaux anglo-saxons. Mais je découvre aujourd’hui que les noirs américains sont bien plus inquiets, ils tremblent littéralement de l’arrivée future de ce nouveau président à la Maison Blanche. C’est à la lecture des discours des lauréats du National Book Award que j’ai pris conscience de cela. J’ai donc traduit le texte retranscrit de leurs discours pour les partager avec vous. Notons aussi que les deux grands prix littéraires anglophones, le Man Booker Prize et le National Book Award, ont tous deux retenu des romans où leurs auteurs américains axent l’histoire narrée sur la question de la ségrégation raciale aux Etats-Unis : « The Sell-Out » de Paul Beatty d’une part et « The Underground railroad » de Colson Whitehead d’autre part.

Voici donc les extraits traduits des discours des 3 lauréats du National Book Award. Colson Whitehead pour son roman, Ibram Kendi pour son essai et John Lewis en littérature jeunesse :

Le discours du lauréat pour l’essai « Stamped from the Beginning » :

J’aimerais remercier le nouveau venu dans ma famille, certains d’entre vous l’ont vue ce soir. Il s’agit de ma fille âgé de six mois. Et elle est bien la meilleure récompense que j’ai reçue cette année. Loin de moi l’idée d’offenser le National Book Award bien-sûr. Quant à son nom, nous l’avons appelée Imani. Et Imani, en Swahili, veut dire « foi ». Foi, son nom, bien entendu a pris une nouvelle signification pour nous depuis que nous savons que le premier président américain noir se prépare à quitter la Maison Blanche et qu’un homme qui avait été ouvertement approuvé par le Ku Klux Klan s’apprête à y entrer. J’aimerais que tout le monde sache que j’ai passé des années à me pencher sur l’Amérique à son pire : son histoire horrifique de racisme. Mais au final je n’ai pas cessé de croire. Je n’ai jamais cessé de penser que la terreur du racisme prendrait fin un jour. Je n’ai jamais perdu ma foi parce que face à toute idée raciste il y a une idée qui combat la discrimination raciale. Je n’ai perdu confiance parce que face à tout ennemi de l’esprit il y a une âme salvatrice de l’esprit. Et au cœur même de la vilenie humaine du racisme il y a la beauté de la résistance humaine au racisme. Voilà pourquoi je garde la foi. Et je continuerai toujours de croire que vous et moi pouvons créer une Amérique où les disparités raciales sont inexistantes, où les vies humaines des noirs comptent, où les américains ne se laisseront pas manipuler par des idées contraires. Voilà pourquoi je souhaite remercier Imani, la foi, pour cela. J’aimerais remercier tous ceux qui dans l’Histoire et de par cette nation apprennent à rejeter la discrimination raciale, tous ceux qui ont voué leur vie à cette cause. Vous êtes mon rocher de la foi. Vous êtes le rocher de la foi de la nation, et le prix que je reçois aujourd’hui je vous le dédie.
Ibram Kendi

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Le discours du lauréat pour la littérature jeunesse »March » :

 Certains d’entre vous le savent, j’ai grandi dans l’Alabama rural, très, très pauvre. Bien peu de livres chez nous. Et je me souviens qu’en 1956 quand j’avais seize ans je suis allé à la bibliothèque municipale avec certains de mes frères et sœurs et cousins pour essayer d’obtenir une carte d’abonné. On nous a dit que la bibliothèque était pour les blancs et non pas pour les hommes de couleur. Venir ici pour recevoir ce prix, cette marque d’honneur, c’est trop. Mais j’avais une maîtresse merveilleuse en école primaire qui me disait « Lis mon enfant, lis ». Et j’ai essayé de tout lire.
John Lewis

Le discours du lauréat pour le roman »The Underground railroad » :

Il y a un an, à ce même moment de l’année, j’essayais de finir mon livre et je me disais « Ne foire pas les 20 dernières pages, Colson ». Je suis dans l’état, alors, où tous les jours on se dit « allez, plus que 19 pages, garde le cap, Colson ». Et on ne peut jamais prédire ce qu’il va advenir dans l’année qui est devant nous. Maintenant le livre est sorti et je n’aurais jamais imaginé que je serais là, debout, devant vous. Et qui peut dire ce qui va se passer dans l’année qui va venir. Ici dans cette salle nous sommes contents, et dehors il y a ce fichu trou à rats de terre en ruine de la Trump-land où il va nous falloir vivre. Mais qui peut savoir ce qui va se vivre en un an. Et comme je suis en cours de promotion de mon livre on m’interroge en me demandant si j’ai quelque chose à dire sur les élections. Je réponds par un « Pas vraiment » – je suis sidéré. Alors je m’embranche sur autre chose, quelque que chose qui m’aide à me sentir un peu mieux, en me disant, ou en espérant que ça peut s’appliquer à d’autres gars aussi : « Soyez gentils avec tout le monde, faites de l’art, et défiez l’autorité. » C’est une formule qui m’a plu en tout cas.
Colson Whitehead

Vous pouvez consulter les textes originaux (en anglais) de ces extraits en cliquant ici.

En général j’aime bien agrémenter mes articles de belles images. Pour une fois j’avoue que je manque d’inspiration (hormis le tableau de Pierre Soulages qui ponctue le texte), alors je vous offre un mur d’échec ! Eh oui, un décor d’échiquier avec le noir et le blanc qui quadrillent le plafond et les murs, et où la voix profonde de Johnny tonne un « Noir c’est Noir » !!!

 

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