La Sentence, de Louise Erdrich

« L'expérience m'avait appris qu'en plus de hordes de lecteurs et de lectrices, la librairie pouvait parfois accueillir des désagréments. Mais rien de franchement mauvais, pour autant que je sache, n'avait jamais franchi la porte bleue. Le fantôme de Flora avait beau être du genre fureteur, irritable et agité, le bleu de la porte aurait dû l'empêcher d'entrer. Peut-être était-il passé entre deux lattes du plancher. »

Imaginez un roman qui choisit pour décor central de son intrigue une librairie. Mais attention, pas n'importe laquelle .. l'histoire se déroulerait au sein de la librairie de l'écrivaine américaine ojibwé Louise Erdrich, que nous sommes nombreux à adorer depuis longtemps. J'avoue que j'ai souvent rêvé de m'y rendre, de déambuler dans ses allées de livres, de converser avec ses libraires. Eh bien voilà, mon vœu est exaucé avec ce roman paru en cette rentrée littéraire 2023. Son titre anglais est The Sentence, qui signifie la phrase, mais aussi La Sentence, traduction française adoptée. Il nous transporte dans la librairie de Louise.
Les maisons des livres - librairies ou bibliothèques, publiques ou privées - sont hantées ! Tant d'âmes s'y meuvent, sorties des livres, ou capturées par eux. La librairie fictionnelle de Louise est hantée par une femme décédée dans le fil du roman, et qui semble avoir expiré son dernier souffle à la lecture d'une phrase, qui l'aurait happée et emportée dans l'au-delà. Rien de surprenant jusque-là puisque nous croyons tous en la toute-puissance de la phrase lue. Mais l'histoire se corse lorsqu'une des libraires de chez Louise, une ancienne détenue en situation de réinsertion professionnelle, originaire de peuples autochtones qui croient en la présence des morts parmi les vivants, va se trouver pourchassée et harcelée par ledit fantôme. Le roman se transforme dès lors en thriller : il va falloir trouver les clés afin de libérer le lieu de cette revenante traqueuse.
Je ne vous ai livré là qu'une infime part de ce qui vous attend dans La Sentence. Les faits historiques liés à la destinée des peuples autochtones côtoient l'actualité de l'Amérique, par exemple les singularités de la récente pandémie et ses restrictions, mais aussi des émeutes, des célébrations rituelles, et des amitiés liant les libraires de chez Louise. On se délecte aussi des goûts littéraires des lecteurs et clients, des conseils exquis, multiples et avisés du personnel de chez Louise, ou encore des longs passages culinaires qui donnent voix aux préoccupations environnementales, notamment des peuples autochtones désireux de raviver leur culture et identité d'origine.

Les personnages principaux se transforment en une grande famille qui nous accueille, nous surprend et nous enchante. Au final, en fermant le livre on réalisera avoir fait un tour d'horizon des préoccupations de notre monde actuel.  Je n'oublie pas d'évoquer la présence, à l'intérieur de ce roman, d'un ouvrage singulier : celui-ci est rédigé dans une langue inconnue, y compris de son auteur ! Les livres sont ainsi des personnages vivants de La Sentence ; ils en deviennent l'âme inquiétante ou salvatrice.

Savourez ce petit trésor, voyagez dans sa terre des mots et des pensées. En prime vous trouverez à la fin du roman les conseils de lecture de la librairie de Louise, avec les références de tous les titres évoqués dans le roman. Transport et bonheur assurés !

LA SENTENCE
(The Sentence)
Louise Erdrich
Traduit de l'anglais (américain) par Sarah Gurcel

éd. Albin Michel 2023 (v.o. 2021)
Sélection Prix Femina romans étrangers 2023

Photographie de l'autrice via page HarperCollins.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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