Les simples, de Yannick Grannec

Si les choses étaient simples...

Yannick Grannec est impressionnante par sa capacité de nous raconter une histoire captivante tout en restituant un univers, en redonnant vie à une époque, et en nous transmettant un savoir. Une histoire de l'art et de l'héritage du Bauhaus était contenue dans son précédent roman Le Bal mécanique, voici qu'elle nous emmène au Moyen-âge, nous offre un traité joyeux et délicieux de plantes médicinales et nous plonge dans la vie de ces femmes déterminées qui se retiraient au couvent et s'instruisaient, pratiquaient la médecine. Eh oui, ce roman est riche mais il est avant tout haletant. On le dévore tel un thriller et au final on est ému comme si l'on sortait d'une tragédie grecque.

Le roman prend pour décor la Provence. L'intrigue se déroule entre Vence et Saint-Paul-de-Vence. Nous sommes dans une abbaye au départ, fictive bien-sûr mais qui prendra corps sous nos yeux de lecteur : il s'agit de l'abbaye Notre-Dame du Loup. Elle est bien régie, paisible et saine. L'on y trouve un hôpital et une fabrique de compositions à base de plantes cueillies dans les environs, c'est une herboristerie si vous voulez. Et ses préparations sont fameuses tant qu'efficaces. On fait la connaissance de Soeur Clémence, mémoire vivante des simples de la région, et accourant d'un lit d'hôpital à un autre la journée durant. L'abesse est une femme de peu de mots, mais très écoutée. Elle a la foi et elle protège ses moniales. Et puis il y a Gabrielle, si belle, si injustement enfermée là mais si passionnée de l'apprentissage. La prieure, les sœurs Mathilde, les sœurs Marie, font leur entrée en scène. Et très vite on les connaît toutes comme si on les fréquentait depuis longtemps. Seulement voilà, l'évêque de Vence se met à cajoler l'idée de manigancer une mainmise sur cette abbaye, fortunée, rentable, efficace. Et pour ce faire il entreprend de faire entrer le loup dans la bergerie, en la figure de son protégé, un jeune et sensible vicaire. Une infime ingérence de l'évêque aura l'effet d'une bombe, d'une dynamite. Et de rebondissement en rebondissement on frisera chaque jour d'un peu plus près la catastrophe.

La lecture de ce roman est délicieuse. Mais sait-on bien à quoi on s'est exposé en s'y livrant?! Car en réalité bien des choses sont brassées dans ce texte. L'infamie, bien-sûr, mais sous mille formes différentes, incarnées par mille personnages différents. Mille n'étant que la forme plurielle de l'Homme. On s'attache aux personnages, on se passionne pour l'univers qui nous accueille dans le livre, et on est bien entendu très loin d'imaginer toutes les conséquences d'une petite action de départ, intéressée par le gain, légèrement vile peut-être mais qui ne cherchait pas à être destructrice. C'est ainsi, un monde peut s'écrouler tel un château de cartes sans que l'on ait soupçonné au départ toutes les intrigues qui se tenaient en veille, là, tout ce temps, invisibles.

J'ai employé le mot tragédie au début de cet article. Je ne pense pas qu'il soit trop fort ou erroné. Très tôt on a l'intuition que rien de bon ne va ressortir de ces effets de manche. Le jeune garçon est trop candide, l'évêque trop roublard, l'abbesse trop parfaitement appropriée pour son rôle. Un collectif jouit des bienfaits de cette organisation : les moniales au sein de l'abbaye, les villageois et les nobles à l'extérieur. On soigne les femmes et les enfants des uns, on fournit soulagement et solutions aux autres. Tant la fabrique que l'hôpital sont nécessaires à ces communautés. Oui, mais. Ce serait oublier les velléités des uns et des autres. Et puis cette connaissance, qui reste entre les mains de quelques unes, ne se pourrait-il qu'elle s'étende à d'autres esprits ? L'abbesse demande à Sœur Clémence de produire un codex ; davantage que demander elle la missionne avec fermeté. Comme j'ai aimé les pages où Soeur Clémence, la jeune Gabrielle et l'enfant Fleur travaillent à la réalisation de cet ouvrage. Comme j'ai aimé les passages où elles vont cueillir les plantes. Comme j'ai été nourrie de tous ces noms, des simples, de l'évocation de leurs vertus, et des recettes poétiques qui jalonnent le texte. Un pur ébahissement, une promenade végétale et médicinale, si précieuse des temps anciens, qui se transmettait de bouche à oreille, de génération en génération.

Voilà.
Je ne sais si je vous ai donné envie de lire Les simples avec le peu que j'ai pu vous révéler de l'histoire. Je ne souhaite pas divulgâcher tous les fils de l'intrigue, si bien ficelée. Mais je peux vous dire que l'écriture de Yannick Grannec transporte très vite son lecteur. On est parachuté en l'an 1584. On s'éprend de cet espace-temps. Et le rythme s'accélère, alors que les phrases se posent pas après pas dans le ton juste, empreintes d'un dire essentiel. Et progressivement les personnages se dévoilent. Celle-ci que l'on révérait nous fera suffoquer, cette autre que nous ne pouvions souffrir nous chagrinera par son destin immérité. Et du drame pressenti la tragédie inévitable nous serrera le cœur. On posera le livre après l'avoir terminé. On aura un grand soupir... et ensuite on se dira que l'on va lire de suite tous les autres romans de Yannick Grannec, si on ne les a déjà lus !
En attendant de vous procurer le livre je vous invite à écouter l'autrice vous parler de son livre dans cette vidéo - brève interview réalisée par la librairie mollat :

LES SIMPLES
Yannick Grannec
éditions Anne Carrière 2019

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment