Autumn Light, de Pico Iyer

Une vie éclairée

J'ai rarement été aussi touchée par un livre que par The Lady and the Monk de cet auteur, écrit en 1991 suite à son tout premier voyage et séjour de un an au Japon. Son récit est devenu instantanément un livre de vie pour moi, un livre important de ma vie. Vingt-six années plus tard Pico Iyer écrit de nouveau un récit qui se déroule au Japon, c'est cet Autumn Light qui vient d'être publié en anglais aujourd'hui, en 2019. J'ai reçu ce très beau livre en cadeau pour mon anniversaire, dédicacé par Pico Iyer à New York, envoyé par la poste ! Je ne vois pas bien ce qui aurait pu me toucher davantage que cette lumière d'automne qui me parvient d'un ailleurs si proche de mon cœur. Imaginez un Proust japonais, imaginez un Proust d'Inde, imaginez un Proust britannique, imaginez un Proust américain ; mettez-les tous ensemble ; ajoutez-y une pointe de zen, une pointe de Dalai-Lama, une pointe de soupir et une pincée de fantaisie et vous verrez apparaître sous vos yeux la lueur douce qui règne dans ce texte qui ne trace à priori rien d'autre que l'ordinaire d'un quotidien, à Nara, Kyoto.

Pico Iyer est très peu traduit en français, et pourtant on ne connaît que lui, pour ainsi dire, dans le monde littéraire anglophone. De parents indiens, élevé en Grande Bretagne, il a fait ses études aux États-Unis. Marié à une femme japonaise sa vie se partage entre la Californie et Deer's Slope dans la région de Nara au Japon. Il est journaliste et écrivain. Il se rend aux quatre coins du monde en tant que conférencier. Les vidéos de ses conférences retransmises sur TED ont eu huit millions de vues sur internet. Je fais partie de ces huit millions, et vous invite à écouter celle qui a pour titre "Where is home ?". 
Ses livres sont assez difficiles à ranger dans une catégorie, tout comme sa personne ! Ce sont des promenades littéraires, récits de voyages, traités de spiritualité et de philosophie de vie, des hommages au père, à la famille. Ce sont surtout les écrits d'un homme doté d'une richesse inouïe qui n'a d'égale que sa délicatesse toujours humble.

Alors de quoi parle ce livre-ci, précisément ? De tout et de rien... Ce serait un peu une suite à son The Lady and The Monk qui faisait le récit de sa rencontre avec le Japon, du coup de foudre résultant et des quatre saisons vécues là-bas. Mais bien entendu la "suite" qui nous est offerte aujourd'hui a une saveur quelque peu différente. En lisant Autumn Light on accompagne un homme dans son quotidien. Une vie ordinaire et tranquille, peu remplie. L'auteur a mille activités lorsqu'il est aux États-Unis et ailleurs ; puis il vient au Japon et là il se pose, dans une oisiveté recherchée. Il se promène, il va cinq fois par semaines à la salle communale, et de sport, où il joue au tennis de table avec des retraités. Il nous parle de son épouse, de ses enfants. Il nous raconte la visite annuelle du Dalai-Lama et de sa délégation qu'il accompagne chaque année dans son parcours japonais. Il nous plonge dans la vie, la pensée, les croyances japonaises. Qu'il connaît si bien. Qu'il ne comprend toujours pas absolument. Cet homme est chez lui partout, cet homme est un étranger partout. Il est en admiration devant l'univers japonais complexe et à double tranchant. Il est fasciné par son épouse, très japonaise et qui pourtant est allée à l'encontre des conventions, de façon radicale et avec une force indicible.

Si j'aime tant les écrits de Pico Iyer c'est probablement parce que j'aime son regard sur la vie et les autres, son regard sur lui-même et sa vie. Il nous transmet bien des choses, toujours indirectement. Il prend le temps pour écouter et pour voir. Nous faisons la connaissance de toutes ces personnes qu'il croise depuis des années à la salle de sport. Il ne connaît rien de leur vie, et parfois apprend quelque chose de leur intimité. Mais c'est l'être humain qu'il voit, et qu'il nous donne à voir. Les toutes petites choses qui contiennent l'essence de la vie. De la vie, et de la mort ; et dans le cas de Autumn Light, la vieillesse, l'âge senior. Le Japon est un pays senior nous explique-t-il. Et il nous présente son entourage avec la même discrétion qu'ils ont toujours manifestée envers lui. Il marche dans tel temple proche, se rend dans tel autre temple à Kyoto. De ces promenades et de ces rencontres un souffle de vie dense et tendre se dégage, et parvient jusque nous, lecteurs.

Ce livre m'a fait penser à un conte entendu un jour que je vais tenter de restituer en quelques mots ici :
Un moine qui commence à se faire vieux se rend chez un grand-homme-saint connu pour savoir exaucer tous les vœux. Il se présente à lui, et l'on voit bien que ce moine est un homme bon, qui veille sur tous et qui prodigue ses soins à tous. Il dit qu'il sent venir sa fin prochaine et demande au grand-homme si ce serait possible de prolonger sa vie de quelques années, puisqu'il fait le bien autour de lui...
Oui, dit le grand-homme. C'est une très bonne idée, j'intercepterai en ta faveur avec plaisir. Mais pourquoi demander simplement quelques années de plus ?
Leur échange se poursuit et la surenchère porte ces quelques années demandées à une cinquantaine de plus. Le grand-homme lui dit qu'il lui faut un peu de temps pour "transmettre" sa demande. Le moine reste alors quelque temps chez le grand-homme. Il partage le quotidien, ordinaire, de cet homme sage. Le temps passe. Le moine est toujours là à partager le quotidien simple du grand-homme. Jusqu'au jour où ce dernier lui dit qu'il peut rentrer chez lui car sa demande a été transmise et sera exaucée. Et le moine de dire :
Oui, je me rappelle avoir eu un souhait. Mais je ne vois plus bien, aujourd'hui, le sens de ma demande...

Les livres de Pico Iyer, et ce tout dernier par excellence, sont un peu le grand-homme de mon histoire. Ils nous emportent dans un quotidien, dans des suites d'instants qui se vivent, et qui s'avèrent vastes comme l'éternité. Le temps s'allonge parce qu'au côté de l'écrivain narrateur nous devenons attentifs à de toutes petites choses, et rejoignons ainsi un rythme plus lent, parfaitement intemporel. Eh oui, pour prendre la mesure du temps qui passe on s'installe dans un espace-temps qui est précisément hors du temps ; et autrement plus précieux.

J'ai terminé de lire Autumn Light en réalisant à quel point le récit m'avait littéralement pris dans ses bras. Puis j'ai compris qu'il me fallait relire The Lady and The Monk, avant de faire une deuxième lecture de ce texte lumineux tamisé. Mes chers lecteurs anglophones, je vous invite à en faire de même. Mes chers lecteurs éditeurs, je vous supplie d'offrir au public français et francophone les traductions de ces récits inclassables et merveilleux.

AUTUMN LIGHT
Pico Iyer
éditions Alfred A. Knopf, New York, 2019

Les images présentées dans l'article sont les œuvres de :
- T. Seiho,
- Felix Vallotton.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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