Traversée du ciel… et chute

Constellation est le nom de cet avion qui s’est écrasé en 1949, dans les Açores alors qu’il était presque arrivé à New York, sa destination. Marcel Cerdan se trouvait à bord de cet avion alors qu’il s’envolait vers une double destinée, reconquérir son titre de champion du monde et rejoindre Edith Piaf. Ginette Neveu la grande violoniste, était aussi un des 48 passagers à bord. Mais qui étaient tous les autres hommes et femmes dont le sort s’est trouvé si tragiquement lié à celui de Cerdan et de Neveu. À quel bonheur aspiraient-ils, potentiellement enfoui dans cette terre du nouveau continent ? Oui, chacun avait une histoire, un avant, un pendant et un escompté après cette traversée du ciel. Mais que savions-nous de tout cela avant de lire ce livre ? Rien. C’est l’éternelle histoire, ou plutôt l’éternelle tragédie de l’humanité : les individus sont cachés derrière un tout ; ici derrière un avion Constellation, là derrière une guerre civile, et plus loin derrière une crise économique.

Ce livre est fabuleux en ce qu’il n’affabule pas. Ce n’est pas un documentaire, ce n’est pas une biographie, ni un récit de voyage et encore moins un essai. Ce serait peut-être une tentative pour répondre à un pourquoi ; un cri qui traverse les temps alors qu’il se fait sobre, détaché, quelconque. Adrien Bosc fait des recherches, récolte des témoignages, trace le destin inachevé de quelques petits êtres humains. Quatre agriculteurs basques qui se rendaient en terre d’ailleurs, une bobineuse de Mulhouse qui s’apprêtait à recevoir un héritage inespéré, un tanneur de Strasbourg qui allait rejoindre sa femme et son fils pour se réconcilier peut-être avec cette ex-épouse et apprendre à devenir père. Des hommes d’affaires, des femmes de cœur, des virtuoses et des moins virtuoses. Tous avaient une ambition, celle de se dépasser et de conduire leur destin dans la direction d’un futur meilleur.

Cerdan ConstellationNi lyrisme ni émotion mais des faits. Adrien Bosc ne surcharge en rien son récit de superflu. Nous sommes dans l’essentiel. Étonnement nous le dévalons sans conscience. Parcourons, traversons, avançons en tournant les pages mais sans savoir vers quelle finalité nous cheminons. Et pourtant, la fin de l’histoire nous la connaissons depuis le début : ces vies vont rencontrer la mort !

J’ai terminé le livre, l’ai posé à côté de moi puis lentement et subitement à la fois j’ai compris quelque chose. Un retour d’émotion fatal m’a parcourue alors pour m’envahir d’un chagrin impalpable. Chaque jour nous suivons les actualités, regardons la télévision, écoutons la radio, nous nous laissons renseigner par mille sources d’information provenant des réseaux sociaux et autre. Nous prenons note de bien des catastrophes et drames, guerres, fatalités et scandales. Mais cela nous imprègne un instant et nous quitte l’instant d’après. Il est des individus derrière chacun de ces drames, un autre moi qui est là-bas et qui voulait être heureux mais qui fut touché par les jeux stratégico-économico-géopolico-etc. mondiaux. Par le seul fait du hasard ? La planète terre sent vibrer sur sa peau revêche chaque petit pas de chacun des petits moi qui circulent ici et là. Constellations envahies de poussière, les communautés humaines tracent leur chemin tel cet avion qui fut trompé par le brouillard…

CONSTELLATION
Adrien Bosc
éd. Stock, 2014
Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2014

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