J’exècre la saveur douce amère qui m’enchante

La femme lionCe livre est terrible tant il est troublant et perturbant alors que délicieux à lire. La douceur l’habite et la cruauté l’investit. L’histoire trace la vie d’un monstre, un autre « Elephant Man », un être si différent dans sa constitution physique qu’il est inclassable par les biologistes scientifiques de cette époque où la science était encore soumise à une conception théologique et où la création relevait de la sphère Divine. La monstruosité dérange bien entendu mais son malheur est qu’elle attire les humains qui ne demandent qu’à la consommer sans vergogne et sans respect puisque le monstre ne peut être vu comme un humain.

Une jeune femme dévote et pieuse s’il en est décède en mettant au monde sa fille. L’enfant est élevé par son père, chef de gare de leur petite ville, et sa nourrice, jeune femme simple et dévouée. Entourée d’amour elle grandit doucement, entre les quatre murs de sa maison et de sa chambre. Le contact avec les autres se fera pourtant, inévitablement, et la petite plus que jamais se rendra compte qu’elle est autre. Elle n’est pas vue comme une femme mais comme une animale puisque son corps tout entier, visage et gorge inclus, sont recouverts d’une fourrure blonde, aussi douce, aussi lumineuse, aussi longue que celle du lion.

Le livre se déroule lentement, l’histoire se conte patiemment, les événements se succèdent inévitablement et le lecteur que nous sommes se laisse éclairer inexorablement. Eric Fosnes Hansen aborde sans crainte un thème mille fois abordé dans la littérature et pourtant il innove et crée un univers à nul autre pareil. C’est une écriture gorgée de maturité et d’indulgence, riche de lucidité et de conscience qui nous trace les pas d’une aventure humaine simple et universelle, malheureuse et hors norme. Je regrette de ne pas avoir le livre sous la main car j’aurais tant aimé partager avec vous un extrait dont la saveur douce-amère s’est inscrite en mon palais : la femme lion y raconte sa rencontre avec le café, sa découverte du café, l’expérience du premier café bu. Qui saurait parler du noir café avec une perfection plus aboutie, je me le demande… Comment décrire un goût absolument amère, qui enchante néanmoins par sa capacité à nous enrober d’une caresse toute particulière, celle de la douceur, de l’étrangeté et de la profondeur mêlés… Alors, cela va sans dire, je vous invite à boire ce nectar de « la femme lion » avec le même art de la dégustation !

LA FEMME LION
Eric Fosnes Hansen
éd. Gallimard, 2011 (v.o. 2006)
Traduit du norvégien par Alain Gnaedig

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