Rêver des Îles, de Gavin Francis

S'engager ou se retirer, la ville ou les îles ?..

Un  des tout premiers livres dans lequel je me suis plongée pour préparer notre Book Club thématique Les Îles  a été l'essai de l'auteur écossais Gavin Francis qui venait tout juste publié dans sa traduction français .. et assurément, c'est bien par là qu'il fallait commencer ! Ce livre est une merveille. Un Beau Livre, facile à manier, riche et instructif ; c'est tant une promenade littéraire qu'une évasion dans la cartographie d'hier et d'aujourd'hui. Mais l'écrivain, chirurgien de métier, nous offre surtout des fruits pour une réflexion profonde sur l'essence et la substance des îles. Passionné depuis sa tendre enfance par la cartographie et les îles, il portait le projet de ce livre, en lui, depuis bien longtemps. Or c'est pendant les mois de confinement de 2020 qu'il s'y est finalement attelé.
Intrigué par l'opposition entre l'agitation des villes et  l'isolement des îles, sa réflexion a pris une nouvelle direction. Et si durant cette pandémie internationale les habitants des villes avaient subi un isolement mille fois plus conséquent que ceux des îles ?!

Onze chapitres se succèdent, précédés d'une préface qui introduit la question posée. Le sommaire en lui-même nous ouvre la voie : Lieux de recueillement, lieux de transformation ; Îles de paix, îles-prisons ; Des îles dans le ciel, ne sont que quelques exemples.
Gavin Francis a passé sa vie à voyager, et parcourir les îles, tant dans les livres que sur les océans et mers de tous les continents. Il nous rapporte mille anecdotes, poétiques ou techniques, nous enrichit de sa vaste connaissance sur les voyageurs et naufragés des îles. Le texte est ponctué de cartes, qui en elles-mêmes offrent une lecture attentive. Dès les premières pages l'auteur nous raconte comme enfant, une des toutes premières fois de sa vie où il se rend dans une bibliothèque, il est happé, transporté, par les cartes. Il s'évade, s'extasie, rêve. Dès lors il n'aura de cesse de se documenter. Car l'apprentissage la plus ancrée qui soi, pour être Homme, se trouve dans cet immense, minuscule dilemme : s'engager ou se retirer, la ville ou l'île, le travail trépident ou la sérénité de l'isolement. Le livre est d'ailleurs ainsi dédicacé : Pour mes enfants. Je n'aurais pu espérer ancres, voiles et lest plus parfaits.

J'ai savouré ce récit en plusieurs temps, et suivant différents modes d'approche. D'abord je l'ai picoré : en le feuilletant au hasard des pas que formaient mes doigts au cœur de ses pages ; ensuite, en faisant une lecture intégrale et ordonnée de l'ensemble. Puis, j'y suis revenue, régulièrement, en me plongeant longuement dans tel ou tel chapitre. Je sais que je vais m'y pencher de nouveau et qu'à chaque fois j'en récolterai de nouvelles perles, et pêcherai un trésor oublié au gré des pages. Oui, ce livre s'explore telles les contrées qu'il nous ouvre. Gavin Francis, après tout, est bien un amoureux des livres comme vous et moi.

« Adulte, j'ai souvent considéré les livres comme des îles portables - ils nous isolent de tout ce qui nous entoure, nous libèrent des tâches immédiates et créent pour nous un espace de contemplation. « De plus en plus, à mesure que je vieillis, (...) les grands romans révèlent leur pouvoir, écrit Helen Dunmore. Ils nous survivront certainement, comme la mer, les rochers ou le sable. Nous pouvons habiter leur monde pendant quelque temps, ils peuvent nous transformer, mais ils ne cesseront jamais de nous dépasser pour s'adresser à la génération suivante. »

Je me réfugie dans la prose comme d'autres dans un bateau. (...)
Je me rends sur une île, et, à chaque fois que je lis les premières phrases, c'est comme si je ramais vers le large.
W. G. Sebald 
»

Je me suis passionnée pour mille sujets en compagnie de Gavin Francis. Désormais je connais l'histoire d'Alexander Selkirk, navigateur et corsaire qui fut abandonné sur une île du Pacifique en 1704. Il y vécut en solitaire quatre ans et quatre mois avant d'être sauvé. Saviez-vous qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage de Robinson Crusoé à Daniel Defoe ?
Quant au phare fictif de Virginia Woolf, je sais maintenant de quel fanal, situé sur quelle île, en face de quelle côte, il a été inspiré !
Vous l'aurez compris, ce livre fourmille de citations et de trouvailles documentées. Nous voguons dans tant d'îles, de tant de coins du monde, inconnus de nous jusqu'alors. J'ai aimé lire les paysages et les humeurs rencontrés par l'auteur dans tel ou tel archipel. Les îles Lofoten m'ont marquée ainsi que tant d'autres. Mais j'ai été également captivée par son désir de creuser la question de l'isolement par opposition à l'enfermement sur soi. Gavin Francis interroge des psychothérapeutes, notamment spécialisés dans l'accompagnement des adolescents. Dans les phases de chaos intérieur, l'isolement est nécessaire pour se trouver, ou se retrouver, expliquent-ils. Si l'on ne prend pas le temps de ce face à face personnel, on peut dériver et passer sa vie à vivre dans un Faux Moi ..
Comme vous pouvez l'imaginer, à la fin du livre on trouve un index détaillé des illustrations, précédé des références de toutes les sources qui ont donné lieu à ce recueil, à cette maison des îles.

Il m'est impossible de clore cet article alors que j'ai à peine effleuré quelques thématiques et questions démystifiés dans Rêver des Îles. Il me faudrait des pages et des pages pour parvenir à vous présenter fidèlement son contenu ! Vous ferez votre propre parcours mes chers lecteurs : au sein de cet univers intelligent et coloré, vous vous laisserez fasciner par telle île, vibrerez pour telle citation ou tel personnage réel ou fictif. Je conclurais donc sur quelques mots de l'auteur :

« Comment formuler ce que j'ai essayé de saisir ? Un sentiment de recueillement, une absence de distraction. Les oiseaux y jouent un rôle essentiel, emblèmes du mouvement, de la légèreté et de la transcendance, éléments familiers du ciel et de la mer.
Peut-être faudrait-il porter son isolement avec soi, comme Selkirk, calme et circonspect face au journaliste de Londres, ou comme Queequeg, le harponneur de Melville, un insulaire du Pacifique qui "(..) paraissait parfaitement à l'aise, conservant une sérénité absolue, satisfait de sa propre compagnie, toujours égal à lui-même". »

RÊVER DES ÎLES - LE VOYAGE COMME RESPIRATION PHILOSOPHIQUE
Gavin Francis
Traduit de l'anglais (Écosse) par Laurent Cantagrel et Martine Sgard

éd. Autrement 2021

Les Photographies mettant en scène la couverture du livre sont de © murielarie pour Kimamori,
L'illustration (cartographie) est issue de Rêver des Îles.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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