Sucre noir, de Miguel Bonnefoy

J’écoutais un écrivain italien ce matin dire que « ce sont trois choses essentiellement qui font la particularité d’un roman : le climat et l’atmosphère qui l’habitent, la musique de sa prose et ses personnages ». Je ne sais pas si c’est toujours vrai de tous les romans, mais ce sont bien les trois choses qui font la beauté de Sucre Noir. Le climat est tropical, la musique un quelque chose entre la symphonie magistrale et le tango, les personnages, eux, sont sculptés dans le moule des dieux et démons mythologiques. La tragédie n’est jamais là où on l’attend, mais toujours enfouie sous terre, invisible. Et pour le reste l’histoire se compose par grands chapitres dont les pages se tournent comme celles d’un livre. En deux cent pages nous parcourons trois siècles et trois générations !

Le livre s’ouvre sur un bateau naufragé, en pleine forêt, au sommet d’un arbre. Ce sont des pirates qui portent un trésor à leur bord… Et nous voici, au chapitre suivant, trois siècles après, dans le village qui s’est construit à cet emplacement. Nous suivrons trois générations d’une famille et bien-sûr il se présentera à chaque fois un grand candide, chercheur d’or, qui vient là pour sonder les sols. Les uns prospèrent, les autres se désillusionnent et la vie suit son cours. Mais sait-on bien où se cache le vrai trésor ? Serena, une des héroïnes du livre nous dira « au fond de mes yeux ». Allez savoir ce qui brille le plus, de l’or, du maïs, de l’amour ou du rhum… Tout cela pousse potentiellement en ces contrées du Vénézuela et nous emporte dans son sillage.

L’écriture de Miguel Bonnefoy est une musique avant tout, un son, une voix ample qui invoque des images fortes. Et le premier des éléments, le feu, est omniprésent dans le récit. Un enfant naît du feu, un empire rhumanesque est emporté par le feu, et les terres nettoyées à coup de feux. L’âme du lieu, tout comme s’il s’agissait de l’âme du monde, est protégée par une veuve sans âge, vêtue d’une robe à dentelles et portant un seau vide à la main.

Notons que ce livre est finaliste de plusieurs prix littéraires de cette rentrée 2017. Je lui souhaite d’en remporter un.

Je vous invite à écouter Miguel Bonnefoy parler de son livre et de son oeuvre ici, dans l’émission de Jean-Christophe Rufin. Et vous offre deux extraits de son roman, en attendant que vous y plongiez la tête la première :

Son baiser prit une couleur d’or et de miel. A son parfum, il reconnut les notes vanillées de l’ananas, ses lèvres exhalant des fraîcheurs herbacées et des saveurs d’agave, comme une longue traînée de braise, et la chaleur de celles qui ont une flamme à la place du coeur.

Elle allait refermer la porte lorsqu’elle vit bouger une couverture de laine d’où sortait une patte rougie, presque mauve, petite comme celle d’un chiot. Quand Serena la retira, apparut le corps d’un animal recroquevillé qui respirait à peine. Sa tête était chauve, plus foncée qu’un bronze. Son nez se réduisait à deux trous au milieu de son visage. Les joues étaient noircies par endroits et ressemblaient à des sillons de terre labourée. L’animal se tourna vers elle. Des yeux vides la fixèrent, et Serena poussa un cri d’horreur. Elle recula et porta ses mains à sa bouche. Couchée par terre, les muscles écorchés, brûlés jusqu’à l’âme, Serena reconnut …….

Je vous recommande aussi son précédent roman, Le Voyage d’Octavio.

SUCRE NOIR
Miguel Bonnefoy
Ed. Rivages, 2017

Les illustrations présentées sont les oeuvres de :
– Bernard Lassus,
– David Hockney.

Vous pourrez écouter ici l’écrivain italien que j’évoquais au début de cet article.

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