L’éclat d’une rose chétive

Un jour j’ai entendu cette histoire. Elle s’est inscrite en moi, et aujourd’hui, quatorze ans après l’avoir entendue elle m’est revenue en mémoire. J’ai eu envie de vous la raconter…

Il était une fois, dans les temps anciens et dans des contrées lointaines des pays d’Orient, un jeune prince, aux traits fins, au coeur noble et empreint d’une sagesse naissante voire intuitive. Les conseillers du souverain, pressentant l’avènement de la succession du trône firent comprendre au jeune prince qu’il était temps pour lui de prendre épouse. Le jeune prince réfléchit un long temps, puis un matin il consentit à ce projet. Mais à une condition, dit-il, je souhaiterais choisir mon épouse selon des modalités un peu particulières. J’aimerais organiser un concours ouvert à toutes les jeunes filles de notre vaste royaume. OLYMPUS DIGITAL CAMERAEt je choisirais celle qui sera ma princesse parmi les jeunes filles qui se seront portées candidates. Personne n’y vit d’inconvénient. Le projet raviverait même le coeur du peuple, dans son ensemble !

Le jeune prince sélectionna alors des graines pour les faire remettre au peuple. Les jeunes filles qui concourront devront planter ces graines et venir présenter à la cour la fleur qui en sera née à la date indiquée. Je sélectionnerai la fleur de mon coeur et demanderai la main de celle qui aura veillé à son épanouissement. Il en fut ainsi. Le règlement du concours fut énoncé sur les places publiques et les graines distribuées dans les villes et les villages de par le royaume.

Les jeunes filles du royaume n’eurent de ce jour qu’une seule idée en tête, présenter au prince la plus belle des fleurs, la plus éclatante des roses, la plus merveilleuse des parfums qu’une fleur eût pu jamais dégager. Elles n’en dormirent pas la nuit, n’en décousirent pas le jour. Elles prièrent, elles s’échinèrent à la tâche ; se découragèrent mais n’abandonnèrent point leur quête de porter au prince cette chose exceptionnelle qu’il attendait d’elles.

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Parmi celles-ci l’héroïne de notre histoire vivait dans un petit bourg proche du palais du souverain. Un jour elle avait croisé son cortège et un bref instant, magique s’il en est, elle avait croisé le regard du prince. Comment aurait-elle pu jamais oublier ce regard, d’une profondeur navrante, tout comme s’il pouvait voir la vérité de toutes choses et percer les mystères tant de l’univers que du coeur des hommes. Naturellement notre jeune fille avait désiré se prêter au jeu. Elle avait planté la graine que les émissaires du roi lui avaient remise en main propre sur la place publique. Rouge Coquelicot Sophie DuplainEt chaque jour elle l’avait entourée de ses soins et de son amour, de sa tendresse et de sa douceur, de sa bienveillance et surtout de sa tolérance. Car la fleur ne voulait pas pousser. Mais notre jeune fille ne désespérait pas. Elle continuait de choyer la fleur en devenir. Et la rose était finalement sortie de terre. Lentement, progressivement, elle avait accompagné son développement. Le Jour J approchait. La jeune fille était heureuse de sa rose, elle la félicitait d’être parvenue à s’épanouir et se faisait une joie d’aller la présenter au prince.

Mais es-tu aveugle, petite ? Ne vois-tu pas comme ta fleur est malingre, comme elle est vilaine. Moins rose que ta rose nous n’en avons jamais vue, moins éclatante que ta fleur il ne peut y avoir sur terre. Comment oserais-tu aller présenter cette affreuse chose au prince. N’as-tu pas honte de lui faire un tel affront ?

Melbourne Flower and Garden Show Rose metalVoilà ce que lui disaient la famille, les amis, les voisins et même les responsables de son village. Nous ne pouvons t’interdire d’y aller. Mais sache que nous ne répondrons pas de toi si tu faisais éclater la colère du prince…

Elle entendait son entourage. Mais elle ne les écoutait pas. Elle irait quand bien même elle savait que sa fleur ne pourrait retenir l’attention du prince. Elle irait parce qu’elle aimait sa fleur ; elle ne pouvait décevoir sa rose qui s’était surpassée, qui avait fait jaillir la vie du plus profond de son être.

Et voici venu le jour où le palais fut ouvert pour accueillir les roses de la contrée. Tant le palais que les jardins du palais furent aménagés pour recevoir tout ce monde qui avait reçu les graines du prince. Et les jeunes filles se présentèrent bien nombreuses, toutes apportant leur pot de fleur.

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Ô comme ces roses étaient belles. Les unes plus éclatantes que les autres. Toutes aux couleurs vives. Que de rose, de rouge, de blanc, d’orange et de citronné, de pêche, de saumon et de bien d’autres nuances de couleurs. Les pétales satinées, le parfum enivrant, la taille imposante… Toutes ces roses se côtoyaient. Et le prince de se promener de l’une à l’autre, accompagné du premier conseiller du royaume. Il regardait mais passait bien vite. Pourquoi ne t’arrêtes-tu pas pour admirer ces merveilles ? ne cessait de lui demander le premier conseiller. Tu me sembles bien insensible aux miracles produits par ces jeunes filles, elles-mêmes sublimes. Mais le prince passait de l’une à l’autre, toujours plus impatient, toujours plus mécontent.

Il ne restait plus que quelques allées au fond du jardin à parcourir avec quelques dernières candidates, plus réservées, qui s’étaient installées là. Le prince n’avait pas le coeur à pousser plus loin, mais par devoir il décida d’aller au bout de sa tâche, de regarder donc toutes les fleurs qui étaient venues se soumettre à son regard. Et c’est là qu’il la vit. La seule et unique rose devant laquelle il s’arrêta.

Margaret Napier RoseDis-moi jeune fille, est-ce toi qui as fait pousser cette rose chétive ? Oui, prince. As-tu eu du mal à obtenir d’elle qu’elle sorte de terre ? Oui, prince. Et quelle fût ta méthode ? Je l’ai aimée, j’ai décidée de croire en elle, en son désir de beauté, en son désir d’Être une rose, de devenir elle-même… Chère amie, tu seras ma princesse et demain ma reine, si tu veux bien apporter la même attention, offrir le même amour, faire preuve de la même foi à l’égard de ton peuple et peut-être la même indulgence envers moi qui serais ton époux.

La décision du prince fut unanimement questionnée. La polémique qui s’ensuivit dura et perdura. Mais force était de constater que ce jeune prince devenu roi, était un bon souverain. Force était de constater que son épouse était la plus douce et la plus solide des reines que le peuple ait connu depuis des générations.

Blake Eames Claudia Michler Street art roseLe premier conseiller du royaume, bien des années après le fameux concours aux roses, quelque temps avant de mourir, demanda à voir le prince. Mon roi, tes décisions ont toujours été sages et fondées. Mais parmi celles-ci il en est une que j’aimerais comprendre : pourquoi as-tu choisi pour épouse la jeune fille qui t’avait apporté la plus frêle, la plus insignifiante des roses vues ce jour-là?

Mon cher ami et formidable premier conseiller, sache que les graines que j’avais fait distribuer au peuple étaient avariées. Ces mauvaises graines ne pouvaient donner naissance à une fleur. Il était absolument impossible d’en tirer quelque chose. Mais une jeune fille, une seule, s’était évertuée à l’entourer de son mieux. Une seule jeune fille n’avait pas remplacé la graine qui lui avait été distribuée par une autre, bien portante, dans le seul but d’obtenir le résultat escompté.

Voici donc l’histoire qui avait attiré mon attention un jour et qui m’est revenue en tête aujourd’hui. Il m’a semblé qu’elle s’appliquait bien aux temps actuels qui, finalement, ne diffèrent pas tant du passé !

Cerisier Sophie Duplain

 

Les illustrations de l’article présentent les oeuvres de :
– OFIS Architects, All Seasons Tent Tower,
– Inconnu,
– Will Ryman,
– Sophie Duplain,
– Melbourne Flower and Garden Show,
– S.S. Bytes
– Margaret Napier
– Blake Eames Claudia Michler, Street Art Londres,
– Sophie Duplain.

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