Fatalement ils auront raison… de nous

La fin d’un monde, voici un thème qui était traité dans le Goncourt 2012. Il resurgit ici dans le Femina 2013, plus accessible mais autrement dérangeant et à défaut d’être effleuré par un adepte de philosophie, il n’en sera pas moins emprunt d’une voix qui aura traversé les temps immémoriaux. Le récit parvient à nous arracher à notre quotidien dès les premières pages du livre et nous transporte dans un univers emprunt de magie et vibrant de dépaysement. Nous sommes en Afrique subsaharienne, dans un autrefois qui jadis avait existé ; plongés dans un avant la colonisation, dans un avant la traite négrière, dans une ère précédant l’ouverture du continent africain à ces hommes aux pieds de poule, qui ont la coutume de se couvrir les pieds. Ces hommes qui connaissent la mer, qui la traversent et arrivent avec leurs bateaux imposants pour emporter les jeunes et les vieux du pays…

Au cœur du récit palpite la vie d’un village, qui se réveille un beau matin pour constater que douze de ses hommes ont disparu. Les mères des disparus seront mises en quarantaine, afin que l’obscurité de leur chagrin ne se propageât. Le conseil des anciens suit les traditions et se fie à ses savoirs éprouvés de longue date pour résoudre le mal qui s’abat sur leur clan. Or cette fois l’ombre qui pèse sur eux est porteur d’un anéantissement qu’ils ne peuvent soupçonner.

Le récit ne prend donc pas pour décor « l’avant » mais la transition vers « l’après » et détaille les phases terminales d’un monde qui inévitablement va s’écrouler pour laisser passer à autre chose, un inconnu que nul ne peut imaginer.

Les mœurs et modes de pensée africaines sont merveilleusement traduites dans ce livre et bien entendu machinations et perfidie sont au rendez-vous. La place de la femme, celle des animosités et différends entre tribus sont tout aussi délicieusement transcrits dans le récit et la communication avec la nature, le souffle de la nuit ou l’âme des animaux formidablement rendus. Au risque de me répéter je dirai que l’écho des voix ancestrales a une large part dans la portée de ce livre qui hante puis envoute le lecteur.

Mais je ne pourrais conclure sans dire à quel point on s’attache aux personnages. On se prend notamment d’admiration pour ces femmes qui savent porter un monde en elles et aller au devant de l’avenir, sans craindre les imprévus, pour secourir le fils ou l’époux chéri.

LA SAISON DE L’OMBRE
Léonora Miano
éd. Grasset  2013
Prix Femina 2013

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