Le Doorman, de Madeleine Assas

Chérir les hommes et leurs secrets

La comédienne Madeleine Assas se lance dans l'écriture, et je la découvre avec ce premier roman qui est d'une grande beauté. Aussi étonnant que cela puisse paraître l'actrice française nous offre une plongée dans la ville de New York poignante, juste et détaillée. C'est une vie qui se déroule sous nos yeux, une vie lente et tranquille qui file sous nos yeux à la vitesse furtive d'un siècle d'histoire. Le narrateur débarque à Ellis Island un peu avant 1970. Il arrive d'Oran, après une transition par Marseille. Cet homme secret qui se reconstruit une identité banale donne de l'étoffe à tout ce qui se déroule autour de lui. Et si le roman a une saveur mélancolique, j'avoue en être sortie avec une gaieté de cœur inoubliable, délectable. On comprend alors la vraie définition de la mélancolie : une émotion profonde et authentique qui s'inscrit dans la joie de vivre !

L'histoire du roman est assez simple. Un homme nous raconte son quotidien de Doorman à New York, dans un immeuble de standing légèrement daté. Il y travaille, et il y habite. Il garde sa réserve de Doorman parfait mais les habitants du bâtiment résidentiel s'attachent à lui, le respectent. Le reste du temps, il se promène, en pensée et dans la ville. Il a des amis chers, un palestinien cinéaste, un juif marchand de tissu et un patron de café. En leur compagnie nous parcourrons chaque rue, ruelle, centimètre carré de Manhattan et des environs. Bien entendu on verra évoluer la ville, tout comme on verra les résidents de l'immeuble grandir, vieillir, parfois partir, et découvrirons de nouveaux arrivants. Mille anecdotes et histoires dérisoires néanmoins essentielles jalonnent le récit. Elles sont drôles, attendrissantes et surprenantes. Et toujours nous verrons notre Doorman, Ray - Raymond de son prénom d'origine - offrir sa présence distinguée, humble, prévenante.

Mais cet homme a une histoire malgré tout. Aux yeux de tous c'est l'homme qui parle français. Nous apprendrons à le connaître progressivement. De famille espagnole par sa mère, juive pied noir par son père, il est désormais orphelin. Il a perdu ses deux parents dans des rafles, de différentes natures, et en des époques particulières. Ray est parti sans un regard vers le passé. Or ce passé l'habite, lui offre sagesse et douceur. Par petites bribes nous sommes plongées dans les anecdotes du passé, portés auprès de sa mère, dans les rues d'Oran. Notre homme regarde passer le siècle. Jamais il ne commente. Mais nous offre de respirer les vies humaines, les destins, les grandes choses et les toutes petites.

J'ai été transportée, de même, par l'histoire de cette ville, qui se joue sous nos yeux. Puisque Ray arrive aux Etats-Unis dans les années 70 il va assister à la construction des tours jumelles de la World Trade Center. Il est encore là en 2001, vers la fin du roman. Il sera impacté de près par le 11 septembre. Et continue de travailler toujours alors qu'il a soixante-dix ans. Que ferait-il d'autre ? Oui, il fera. Le temps venu. 
Mais voyez-vous, j'en ai lu quelques uns de romans où le personnage principal est un promeneur solitaire à Manhattan, et j'en ai lu quelques uns qui s'essaient à dire ce 11 septembre. Mais je n'avais encore jamais lu cet univers sous la plume de Madeleine Assas, qui sait le rendre immense, et minuscule à la fois. C'est une histoire humaine, et une histoire de l'humanité qui nous est offerte. Délicatesse, subtilité et voix douce sont incorporées dans le texte à chaque page. Sans que l'on s'en rende compte on est happé, alors que rien dans le récit ne cherche à agripper son lecteur. Oui, je vous l'ai dit, ce livre m'a laissé admirative et sans voix. Et il m'a transmis un sourire profond, d'amour de la vie, peut-être dans ce qu'elle a d'indicible, et parce qu'il est transmis au travers de cette amour que notre Doorman porte à son entourage, de manière indéfectible et jamais dite.

J'avoue aussi que j'ai aimé vivre à New York ces quelques centaines de pages durant. Je me remémorais mes propres promenades en solitaire dans cette ville, folle, chaotique, vibrante et à mille faces que l'on ne peut qu'aimer secrètement. Et je me disais, la prochaine fois que j'irai faire un tour là-bas, je me ferai fort de me rendre dans tous les quartiers, les rues et les carrefours que je ne parvenais pas à visualiser en lisant le livre !

LE DOORMAN
Madeleine Assas
éd. Actes Sud, 3 février 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont  :
- Photographie d'un Doorman, par Alina Gazin'a,
- Vue est de Manhattan en 1970 pendant la construction des tours jumelles, depuis une jetée délabrée. Photographie de Camilo Vergara.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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