Les alchimies, de Sarah Chiche

« Je m'appelle Camille Cambon. J'ai 48 ans. Je ne sais pas pourquoi j'en suis venue un soir, affalée sur la couette jaune de mon lit, à cliquer sur un mail perdu au milieu de tant d'autres. Tout comme je ne sais plus s'il faut être fou pour devenir médecin ou si c'est bien l'exercice de la médecine qui finit par détruire notre raison. Toute cette histoire restera énigmatique à qui n'accepte pas de s'armer de sa propre part de ténèbres pour aller à la rencontre de ce qui peut arriver aux êtres humains. Avant je croyais que chacun d'entre nous vivait dans un monde où la science fournissait des solutions bien meilleures que les dieux et nous permettait d'accéder à la nature réelle des êtres et de toutes choses. Maintenant je sais que non. »

Du scalpel au brun de momie

Après Les Enténébrés (Seuil, 2019, prix de la Closerie des Lilas) et Saturne (Seuil, 2020), Sarah Chiche s’affranchit d’un cycle à la verve autobiographique en signant cette fois une pure fiction. Enfin presque.

Deux voix de femmes portent successivement le récit.
Tout d’abord, celle de Camille Cambon, médecin légiste entourée de carabins à l’humour potache. Camille, qui côtoie la mort au quotidien, est une femme de notre temps, courageuse, drôle et brillante. Elle est toutefois complètement dépassée par la maternité au moment où sa fille entre en pleine crise d'adolescence. Mais surtout, elle est de ces femmes pour qui l'amour n'est pas le centre de gravité. Elle n’a pas nécessairement besoin d'un ou d’une partenaire ou pour s'épanouir dans l'existence. Ce qui l'aimante, ce qui la fait vibrer, c'est la recherche, la passion de la médecine et de la science.

Or un soir, Camille reçoit un mail énigmatique où il est question du peintre Francisco de Goya et de son crâne, dont on sait qu’il a été volé après son inhumation, en 1828. (on s’en est aperçu 50 ans après, en 1888).
C’est là que le récit bascule. Camille part à Bordeaux rejoindre celle qui va lui raconter la jeunesse de ses parents et de son parrain, lesquels, avant de devenir des scientifiques de renommée internationale, se sont beaucoup intéressés à la vie de Goya et à la partie secrète des Catacombes de Paris…

Si chaque personnage relève de la fiction, tous les éléments concernant Goya sont l’aboutissement d’un travail documentaire pointu où l’on découvre les mille vies du peintre. Peintre de cour, il est soudain foudroyé par une atteinte neurologique, et devient le peintre aux fonds noirs, témoin des vices et des vertus de son époque, dont les tableaux résonnent encore de véracité à notre époque. Les habits ou les costumes changent, pas l’âme humaine.

Les Alchimies est un véritable roman d’aventures, picaresque, où l’on traverse le Siècle des Lumières jusqu’à la création d’une mystérieuse société secrète de médecins. Un livre étonnant, une fresque captivante qui nous fait découvrir les origines du génie, la recherche éperdue d'absolu, le pouvoir obscur et merveilleux de l’art.

LES ALCHIMIES
Sarah Chiche
éd. Seuil 2023
Sélection Prix Castel 2023
Sélection Prix Femina 2023
Sélection Prix Médicis 2023
Sélection Grand Prix du roman de l'Académie française 2023

Cet article a été rédigé par Pascale Poder

Corso-bretonne, Pascale Poder partage sa vie entre île et presque île. Après des études de Lettres modernes à Lyon, Aix et Corte, elle enseigne pendant 10 ans pour finalement se livrer entièrement à sa passion pour la littérature, en rejoignant l'univers des médiathèques.

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