Les forêts de Ravel, de Michel Bernard

Qu'entend le compositeur ?

Ce livre est d'une très grande beauté. L'écriture est sublime, en ce sens que la phrase est inouïe. J'ai lu et relu à l'infini certains passages, me demandant comment l'écrivain a trouvé le génie, l'inspiration, de formuler ainsi telle idée. Oui, avec Les forêts de Ravel de Michel Bernard nous voguons dans les sphères de la littérature. Mais l'histoire contée a sa part dans l'enchantement offert. C'est la vie du compositeur Maurice Ravel que nous lisons là. Je me suis fondue dans le texte. J'en suis sortie émue, et quelque peu changée. J'ai fait la rencontre de ce livre à l'occasion de notre Book Club thématique autour de La Musique. Mais c'est un récit à lire et à relire en toutes occasions !

Maurice Ravel est né en 1875.  Dès la fin du dix-neuvième siècle, il est un compositeur reconnu. Puis arrivera le vingtième siècle et les guerres mondiales. Sa faible constitution le verra exempté de service militaire et refusé en tant que soldat. Or il remuera ciel et terre, déplacera monts et vallons pour y être. Et en effet, il aura gain de cause et sera au plus près de la ligne de front lors de la première guerre mondiale : il sera intégré dans la division des transports. Au volant de sa camionnette qu'il nomme Adélaïde, comme une de ses compositions, il est chargé de faire parvenir armes et matériel sur le front, et en ramener les blessés. Nous lirons dans le roman ses années de guerre, et l'après. Nous l'accompagnerons dans les forêts et sous les obus. Nous aurons idée de sa vie mondaine, et ressentirons la force de son désir de s'en éloigner, pour s'installer dans cette maison qui dès le premier instant le charme, à Montfort L'Amaury. Et puis nous serons avec lui, pendant qu'il l'aménage, qu'il travaille, qu'il se déplace à Paris et dans les autres pays où ses œuvres sont à l'honneur, et parfois sur ses terres d'origine, basques. Mais surtout, avec ce roman nous nous poserons dans son souffle, qui n'est porté que par la voix sonore du monde, qu'il s'agisse du grondement des obus, ou du frêle et néanmoins puissamment parfait chant de l'oiseau.

« Ravel gara sa camionnette sous un tilleul dont les pointes commençaient de verdir. C'est après avoir coupé son moteur que le bruit venu de l'horizon le saisit. On lui avait parlé de ce que les camarades appelaient avec une désinvolture appuyée la musique du front. Il fut surpris pourtant, car plus qu'il ne l'entendit, il reçut en plein la moelleuse et profonde pulsation de la canonnade. Elle semblait ne pas s'adresser aux oreilles, mais frapper et s'amortir au ventre d'où elle rayonnait dans tout le corps. Cela le laissa un instant stupéfait. Sa pensée captait et interprétait le message effrayant d'une force destructrice considérable, mais ses sens goûtaient la nouveauté, ce son total qui empoignait, remuait toutes ses fibres et sollicitait en lui une aptitude à goûter et connaître où l'esprit n'avait aucune part. »

Le charme, la magie, l'émerveillement sont à toutes les pages de ce livre, et cela émane de la vie même du compositeur. Cet homme avait les connaissances d'un ornithologue. Il embrassait en son for intérieur le chant de l'oiseau, le regard d'un blessé de guerre, et l'éphémère de la fleur. Musique et poésie, ainsi, sont même chose. Ancrage et détachement vont ensemble. Et c'est dans cet indicible que nous emmène l'écrivain Michel Bernard. Car comment dire autrement l'âme d'un compositeur ..
« Cherchant le bois mort sur le tapis ras du sous-bois, il voyait le bleu des pervenches et le blanc du muguet, fleurs du hasard et de l'ombre, le vol sombre et silencieux des oiseaux entre les arbres, et, partout, neuves du printemps, fripées encore, douces et lumineuses, les feuilles fraîchement déployées. L'air était soyeux et toutes choses, sous les rayons du soleil traversant la canopée, avaient le duvet de la jeunesse. Il suivait les sentiers et prenait garde de n'abîmer plus que le nécessaire dans sa marche. Le grondement de la canonnade se perdait dans les hauteurs et ne descendait pas au fond des ravins. Rien de la bataille ne venait jusque-là : ni vacarme, ni odeurs, ni fumées. Il entendait le silence de la vie, la respiration du monde. »

De retour de cette guerre Ravel tente de reprendre ses compositions en cours, qu'il avait commencées avant son enrôlement. Mais il ne peut plus écrire la même musique. Sa musique intérieure s'est transformée. Et il n'aura de cesse de l'écrire, et de la partager. Cet homme élégant et distingué avait de la grandeur, de celles qui savent donner à entendre la vibration minuscule, immense, et dense comme la forêt qui nous berce tout au long du récit.
Ma chronique est maigre et modeste. J'aurais voulu vous citer toutes les pages de ce roman, petit trésor à inviter chaleureusement dans sa bibliothèque personnelle.

LES FORÊTS DE RAVEL
Michel Bernard
éd. La Table Ronde, collection La petite vermillon, 2016

La peinture présentée dans l'article est Paysage aux oiseaux jaunes de Paul Klee.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment