L’amant de Janis Joplin, de Élmer Mendoza

Avec son titre énigmatique laissant entrevoir une ambiance rock'N roll des années 60/70, le roman d'Élmer Mendoza a tout de suite attiré mon attention. Et on peut dire que j'ai été assez surprise par le style d'écriture si particulier de l'auteur mexicain. 

L'histoire se déroule au cœur du Sinaloa, Triangle d'or de la marijuana. Lors d'une fête de village, nous découvrons David, un jeune homme un peu attardé, moqué pour sa bouche qu'il garde toujours entrouverte. C'est un excellent lanceur, capable de tuer n'importe quel animal en pleine course d'un seul jet de pierre.
Pendant la fête, David est incapable de refuser une danse à Carlota Amalia, pourtant promise au fils d'un trafiquant de drogue. Une bagarre éclate et, pour éviter la mise à mort, David tue son agresseur d'un caillou en pleine tête. Pour le protéger, son père décide alors de passer un accord avec les trafiquants, tout en envoyant David chez ses cousins afin de le protéger.
Là, tout s'enchaine. L'oncle de David, entraineur d'une modeste équipe de Baseball et passionné monomaniaque de ce sport, remarque très vite les capacités physiques étonnantes de son neveu, et décide de le faire jouer. Incroyable coup du sort, une équipe nord-américaine le remarque. Direction Los Angeles !

« Le Chato, qui avait trente kilos de maladresse en moins, fit feu sur la forme mouvante par quatre tirs impeccables : Prend ça, enfoiré de bourgeois ! Et le gros s'écroula, déçu par la vie.  »

Ah oui, j'oubliais. Depuis son crime, David entend une voix. Grossière et peu arrangeante, cette "partie réincarnable" n'a de cesse de le rendre fou, ne lui prodiguant pas toujours les meilleurs conseils.
À Los Angeles, au détour d'une rue, David fait une rencontre qui bouleversera toute son existence et sera le fil rouge de notre roman. Séduit et entrainé dans la chambre d'une femme avec qui il perd sa virginité, elle lui dira en le mettant à la porte qu'elle s'appelle Janis Joplin. À partir de ce moment, le garçon ne jure que par elle, promettant de lui rester fidèle jusqu'à ce qu'il parvienne enfin à la retrouver. Et on peut dire que ce ne sera pas chose aisée. Sa vie devient une fuite ininterrompue où les rares moments de chance succèdent rapidement aux pires catastrophes.

À travers les yeux de David, on découvre les débuts d'un narcotrafic qui explose, tout en étant presque artisanal dans son fonctionnement, mais aussi les revendications révolutionnaires d'une partie de la jeunesse mexicaine, dont l'un des meneurs n'est autre que son cousin. Les violences policières et la corruption font partie intégrante de la société, et même si le roman est rempli d'humour, un contexte historique réel est mis en avant.
David et sa famille vont endurer bon nombre d'épreuves, de la torture à la prison, en passant par la clandestinité.
Au début de ma lecture, j'ai été très déstabilisée par la façon dont sont retranscrits les dialogues. Il n'y aucun tiret ou saut de ligne, tout est écrit d'un seul bloc et il est difficile de savoir qui parle, et qui répond à qui. Ajouté à cela, la voix intérieure de David .. je ne savais plus où j'en étais. Mais l'habitude prend vite le dessus, et ce style singulier accentue le rythme de l'histoire, qui est très rapide. Vraiment très rapide. Les jours, les mois et les années passent sans que l'on s'en rende vraiment compte, autre élément déstabilisant !

« Voilà maintenant que c'est eux qui ont raison, toute cette bande de chevelus qui dansent comme des singes, qui disent que la religion c'est l'opium du peuple et les patrons des voleurs, ce sont eux maintenant qui pensent juste, c'est le monde à l'envers ! J'ai passé ma vie à travailler comme une bourrique, voter, éviter les emmerdements, total, aujourd'hui, le couillonné c'est moi. »

Ce roman est drôle, sarcastique au possible, mais sensible aussi.
On s'amuse beaucoup de la maladresse et de la naïveté de David : l'amour qu'il porte à une femme - avec qui il a passé huit minutes - devient sa seule planche de salut (est-ce vraiment Janis Joplin ? S'accroche-t-il à une chimère ? La chanteuse, dont il écoute désormais en boucle les chansons, se souviendra-t-elle même de lui ?).
Les péripéties qui lui tombent dessus les unes après les autres peuvent sembler excessives pour un seul personnage, mais j'ai interprété cela comme une façon pour l'auteur de dresser le portrait d'une époque à travers un seul personnage, comme s'il était la personnification de tous ces mexicains qui ont souffert, et rêvé parfois de rejoindre l'Amérique.

L'amant de Janis Joplin peut perdre certains lecteurs par sa forme, son parti pris, la construction de ses dialogues et la rapidité de son déroulement. Mais si, comme moi, vous acceptez cette originalité et continuez jusqu'au bout votre lecture, vous ne serez pas déçus. On peut le refermer en se disant que l'on n'y a pas trouvé ce que l'on était venu chercher, et peut-être que toutes les questions n'ont pas de réponses. Mais on aura ri, on aura été ému, et on aura découvert un autre univers, un monde au fonctionnement crasse qui broie les plus faibles. David est naïf, profondément gentil et donc inadapté à tout ce qui l'entoure.  Il endosse des crimes pour ne pas décevoir, pour ne plus être battu, il aide son cousin révolutionnaire sans réaliser tout ce que cela implique. Il aime une femme qu'il ne connait pas, mais avec qui il a été heureux, un bref instant. Cette part de rêve qu'il projette en Janis Joplin, il nous la fait partager et nous offre ainsi un moment de magie.

L'AMANT DE JANIS JOPLIN
Élmer Mendoza
éd. Métailié, Métailié Noir, 2020
Bibliothèque hispano-américaine
Traduit de l'espagnol (Méxique) par François Gaudry

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Leopoldo Méndez, Calavera with guitar, 1938
- Carlos Merida, The prodigal son, 1973,
- Carlos Merida, Retablo, 1950 

L'auteur de cet article et désormais chef de rubrique Littérature de l'Imaginaire dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :

Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.

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