La porte, de Magda Szabo

Pour une fois je ne trouve pas mes mots pour qualifier un livre. La Porte n’est pas un bon livre, ce n’est pas un excellent livre… C’est un Grand livre. En refermant le livre j’ai compris que j’avais été comme dynamitée de l’intérieur. J’ai suffoqué, j’aurais pu sangloter ; je n’ai fait que pleurer et j’ai happé ma respiration, comme un poisson qui avale des bulles d’air. Oui, le livre de Magda Szabo m’a donné cette chose essentielle que l’on recherche dans tout livre, une sorte de déflagration qui va nous rapprocher de la Vérité, qui va nous permettre dl’e toucher la vie un bref instant, et se transformer alors. Devenir ce que l’on est, faire un pas vers ce que l’on a envie d’être, un Être, Humain, digne !

Publié pour la première fois dans sa version originale, hongroise, en 1987, il a été porté aux yeux du public francophone en 2003, année où il a remporté le Prix Femina étranger. Il vient de sortir en poche. Mais j’ai rencontré ce livre grâce au marché américain qui lui a redonné vie en 2015. Il a fait énormément parler de lui l’année dernière dans la presse littéraire américaine et je me suis étonnée d’être passée à côté de cette écrivaine hongroise, décédée en 2007. Je me suis empressée de commander l’écrit dans sa traduction anglaise. Et ô comme je ne le regrette pas ! Car c’est un livre qu’il faut lire.

Wifredo LamLe livre fait moins de 300 pages. La narration est distante, lucide, ne cherchant pas spécialement à faire vibrer la corde d’un quelconque violon. Une femme retrace sa rencontre et son amitié avec Emerence qui sera pendant une bonne vingtaine d’années sa femme de ménage, une sorte de gouvernante qui veille sur tout sans rechigner à la tâche, et qui deviendra non pas simplement sa grande amie mais une des figures les plus marquantes de sa vie. Ces deux femmes n’ont pourtant rien en commun. L’une est très moderne, écrivain et réalisateur, elle est une intellectuelle avant tout. Emerence ne comprend et ne respecte que les choses simples, ce que l’on fait de ses mains a de la valeur, le reste ne l’intéresse pas.

Paul GuigouCette femme rêche et robuste veille sur tous les habitants du quartier et de leur ensemble d’immeubles. Elle est responsable de la maintenance et du bon entretien de cette résidence. Par temps de neige elle est dehors avec son balai jour et nuit. Le jour du seigneur elle est chez elle à faire la lavandière pour tout le quartier, pour toutes ces dames qui se rendent à la messe. Hostile aux effusions de sentiment, elle n’ouvre jamais sa porte à personne. Qu’elle vole au secours des uns et des autres est chose naturelle mais il n’est permis à personne de la choyer en retour.

Et l’histoire se déroule. Les deux femmes se dévoilent l’une à l’autre. Progressivement. Mais Emerence n’ôte jamais le foulard qui couvre ses cheveux. Et hormis Viola, chien abandonné et recueilli par le couple d’intellectuels, personne n’aura droit aux confidences d’Emerence et ne connaîtra la nature profonde de son âme.

Jacqueline AthmannSous ma plume l’histoire peut paraître douce et dénuée de couleurs. Mais dès la première page du récit nous savons que c’est un drame qui va se produire sous nos yeux. Dans les dernières pages l’ampleur des dégâts se révèle à nous. Sortie de ma lecture, pulvérisée, j’ai passé des jours et des nuits à vivre le livre, à revivre chacune des scènes, à comprendre enfin, peut-être.

Ce qui se produit dans ce livre se produit tous les jours autour de nous. Nous n’y prenons garde, y prêtons peu attention. Avons-nous seulement le temps ?… L’histoire est mythique, archétypale. Et si simple.

Savons-nous aimer ? Ai-je jamais su aimer, saisir le sens de ce mot? Emerence, elle, sait faire cette chose-là.

D’une intelligence remarquable ce livre se passe du superflu, piétine les conventions et hue les apparences. Il nous apprend aussi ce qu’est l’Art, ou tout du moins ce que devrait être l’art. Emerence qui n’a rien d’une artiste connaît l’art, dans sa forme pure ; tout le reste étant dérisoire à ses yeux. En quelque sorte, ce récit est un traité sur l’authenticité. Et il ne nous laisse aucun échappatoire.

LA PORTE
Magda Szabo
Traduit du hongrois par Chantal Philippe
Éditions Viviane Hamy, 2003 (v.o. 1987) sortie poche, 2017

J’ai lu le livre dans sa traduction anglaise, sublime, réalisée par Len Rix en 2005 pour la publication britannique du livre.

 

Les illustrations présentées dans cet article sont les oeuvres de (par ordre d’apparition) :
– Wifredo Lam,
– Paul Guigou,
– Jacqueline Athmann

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