Le labyrinthe de la vie

Il est toujours difficile de conseiller un livre qui n’a pas pour vocation de rendre le lecteur joyeux et vibrant de légèreté. Mais puisque la vie elle-même n’a pas pour caractéristique d’être toujours rose, et parce que ce livre est excellent et son auteur incontestablement talentueux, je ne peux faire autrement que vous en parler.

Daniel Alarcón, écrivain péruvien vivant aux États-Unis est très largement connu en Amérique du Nord. Il écrit dans les journaux et magazines littéraires réputés, il a remporté bon nombre de prix et récompenses pour son oeuvre. Peu connu en France, un de ses précédents livres est pourtant publié chez Albin Michel. Celui-ci le sera donc aussi peut-être ; pour ma part je le lui souhaite. Car oui, il gagne à être lu.

Je ne tournerai pas autour du pot, c’est l’histoire d’une tragédie annoncée que nous offre « At night we walk in circles ». Le lecteur s’engage dans le récit lentement. Au bout d’une cinquantaine de pages ce même lecteur pense être au bout du conte. Nous avons compris l’histoire, tout est dit, que peut-il se passer d’autre ? Comment se fait-il qu’il reste encore plus de trois cent pages à lire ?!

Joan MiroMais de ce même pas lent et peu convaincu nous, lecteurs, poursuivrons. Et sans jamais avoir l’impression d’avoir mordu à l’hameçon nous continuerons notre cheminement pour être surpris à chaque tournant, de ce nouveau carrefour qui se présente, de ce nouveau coude dans le virage derrière lequel nous ne pouvons deviner les caprices de la route à venir. Et ce sera ainsi jusque la dernière page. Il se sera passé tant de choses dans l’histoire relatée, si imprévues, si terribles, et pourtant… tout cela n’était-il pas prévisible dès le départ ? Tous les travers du destin, aussi surprenants soient-ils ne font que confirmer ce destin fatal qui n’a cessé de nous hanter. Eh oui, ce fameux labyrinthe de la vie nous mène-t-il ailleurs qu’à nous-même ? Mais ne pouvions-nous tenter d’échapper à ce nous-même si décevant ? Je ne sais si Daniel Alarcón nous révèle ici l’histoire d’un pays sous couvert de la vie d’un individu. Je ne sais s’il s’agit d’une fatalité accablante qui frappe toutes les vies qui sont traversées de l’Histoire qui règne dans la noirceur cachée de l’humanité. Mais il est vrai, comme j’ai entendu Raphael Enthoven le dire un jour dans une de ses émissions radiophoniques, que « les choses deviennent ce qu’elles sont ». Et cela est tragique pour tous ceux qui désirent que les choses soient autrement !

GC MyersNelson vit à Lima. Son frère aîné émigre très jeune aux États-Unis. Et ce pays lointain fera l’objet des rêves et ambitions absolus du jeune Nelson qui attend jour après jour que son frère « le fasse venir là-bas » comme il l’a promis. Mais l’histoire en décidera autrement et il restera, notamment pour s’occuper de sa mère après le décès de son père. Il devient comédien et évolue dans ce milieu artistique de la capitale, pour être un jour sélectionné par Henry, un metteur en scène autrefois très reconnu qui a fait de longues années de prison Son crime était d’avoir offensé les autorités à la tête du pays. N’aurait-il pas écrit une caricature du chef militaire du pays dans sa pièce qui dénonçait les grandes failles du « Président Idiot ». N’est-il pas un communiste militant en réalité, davantage qu’un auteur… Toujours est-il qu’Henry a fait de la prison. Il est sorti de prison, et s’est laissé convaincre par son meilleur ami et ancien comédien de sa troupe à remonter cette même pièce pour laquelle il avait été condamné et à refaire une tournée dans tous les bourgs et villages reculés du pays. Ainsi soit-il. Nelson sera le troisième acteur de la pièce. Et tous trois, nouveaux représentants de la troupe « Diciembre » partiront en tournée.

Le lecteur quitte alors la grande ville et aux côtés des trois compères découvre le Pérou, son autre visage. Nelson révère son mentor et se surpasse à chaque représentation où les petites salles des fêtes locales et autres lieux de représentation improvisés dans ces terres paysannes offriront la catharsis à leurs habitants… Mais leurs pas les mèneront fatalement dans le lieu dit où habitait autrefois le feu voisin de cellule d’Henry qui fut son meilleur ami et son amant en prison. Ce meilleur ami victime d’une tragédie comme la vie en produit couramment l’a marqué à vie. Et le destin de Nelson se trouvera étrangement mêlé à ce funeste destin.

Daniel AlarconIl est encore mille détails et développements de l’histoire que je pourrais souligner ici car le livre fourmille de tous ces petits fils de la vie qui se nouent pour tisser un tapis, image précieuse et complexe. Le livre regorge de références subtiles, il est étoffé par ce fin branchage qui vient nuancer le propos, rendre le jugement difficile. Mais je préfère vous laisser découvrir cette belle construction de vous-même, pour ceux qui lisent en anglais, et pour tous les francophones aussi, le jour où le livre sera traduit. Car c’est un excellent livre que Daniel Alarcón a écrit là.

NOUS TOURNONS EN ROND DANS LA NUIT
(At Night We Walk In Circles)
Daniel Alarcón
Traduit de l’anglais par Nathalie Bru
Editions Albin Michel, 2017 (v.o. 2013)

* Les illustrations présentés sont de :
– CG Myers
– Joan Miro

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