Les Garçons de la cité-jardin, de Dan Nisand

« Un nom, grands dieux, mais qu'est-ce que c'est un nom ? »

Souvent, de nos jours, en lisant un livre, je me demande si l'auteur a eu le temps de se poser tranquillement, longuement, patiemment avant d'écrire son livre et de le porter chez l'éditeur comme manuscrit publiable. Eh bien, plongée dans le roman de Dan Nisand, je ne me suis pas posé cette question ! L'écrivain avait pris le temps nécessaire ; je devenais une lectrice paisible. J'ai lu Les Garçons de la cité-jardin lentement, j'ai aimé la traversée offerte par cette embarcation. Le livre est tendre, il est triste aussi. Mais il dit les grandes vies et les vies minuscules. Il dit l'amour au sein d'une fraternité. Il dit les forts et les faibles .. et tout ce temps, s'interroge : peut-on changer de destin, faire rupture avec le nom de famille que l'on porte ?
Premier roman maîtrisé et sensible, le livre de Dan Nisand est une belle découverte de cette rentrée littéraire 2021.

Melvil Ischard est un jeune homme réservé. Il vit seul avec son père dans une cité-jardin de la périphérie de Mulhouse. Le roman s'ouvre sur un matin comme un autre, seulement ce jour-là le père a reçu un appel, et il en fait part à son fils. La nouvelle semble grisante et incroyable à la fois. Melvil est heureux, il voudrait en parler à tous dans le voisinage. Nous saurons assez vite qu'il s'agit de l'arrivée prochaine de Virgile, le frère aîné, parti depuis neuf ans. Il sera suivi par le cadet, Jonas. La famille est alors de nouveau au complet. Les Ischard sont redoutés, craints, imprévisibles, et nécessairement violents. Tous sauf le petit frère, Melvil. En parallèle nous apprendrons à connaître l'histoire du lieu, et de la famille Hildebrandt, riches industriels à l'origine de la conception et construction de cette cité-jardin. Progressivement tout un passé détruit semble se reconstruire. Mais le bonheur retrouvé est bien fragile chez ces êtres autodestructeurs, vulnérables, et assommés par le sort.

Le récit suit une ligne narrative chronologique. Nous lisons la vie de la famille Ischard, et leurs échanges, liens ou différends avec les autres familles et jeunes de la cité-jardin. Mais quelques éclairs du passé nous parviennent, de temps à autre, porteurs de grandes révélations et c'est ainsi que nous saisirons mieux le drame qui a touché cette famille, le frère aîné, la terrible belle insoumise Nelly. Et ce rythme qui ordonne la danse rend chacune des scènes poignante, effarante ou choquante. Le souffle, l'humeur, du livre se dégage du quotidien. Et ce quotidien est déchiré de fulgurances et excès. L'uniformité et l'ordinaire sont le tison de l'irascibilité.

Deux autres personnages viennent compléter le tableau. William est un alcoolique notoire, lettré, philosophe, brillant et intraitable dans sa lecture d'une charte éthique et morale de la vie. C'est un descendant Hildebrandt mais il vit dans la cité-jardin, à l'égal de ces familles modestes pour qui le lotissement a été pensé. Est-ce l'ange déchu, le génie fou ?! Quant à Hippolyte, garçon boiteux et simplet, il nous surprendra au fil du roman tant par sa résistance au malheur que par son histoire personnelle. Avec Melvil ils forment un trio. Ils sont différents ; ce sont des êtres intérieurs qui pèsent et mesurent les choses au lieu de surréagir face au moindre impair. Ils tranchent avec les grandes gueules que sont les autres Ischard et leur bande d'antan. Qui sont les forts ? Qui sont les faibles ? Et qui aura droit, ou accès, au bonheur .. Question abstraite dans le paysage nauséeux de l'utopie humaine et du visage bassement terrestre qu'elle finit par prendre. Car la cité-jardin était bien un concept utopique à son origine. Et puis, dans les faits, il y a eu des Hildebrandt et il y a eu des Ischard.

D'après ce que j'ai lu, l'auteur, Dan Nisand, a grandi lui-même dans une cité-jardin à Strasbourg. Cela a dû l'aider à composer ce livre avec toute la proximité nécessaire, jumelée de la distance requise pour donner du corps à son histoire. Il déploie avec grâce des scènes d'une violence inouïe, et pourtant c'est enveloppé d'un quelque chose qui les revêt d'absurdité. Soudain le lecteur perçoit cette violence-là, petite, minime, habituelle. Et je retenais mon souffle à chaque injustice subie par notre Melvil. Et pourtant - et une des grandes forces du roman est là - je comprenais, gorge serrée, l'amour de ce jeune homme pour ses frères, pour sa famille, pour cette vie si peu enviable. Peut-on quitter sa vie, et s'en refaire une autre .. tel est le « être ou ne pas être » de Les Garçons de la cité-jardin.

LES GARÇONS DE LA CITÉ-JARDIN
Dan Nisand
éd. Les Avrils 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Cité-jardin du Danemark,
- Image Google-Earth, vue aérienne États-Unis..

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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