Les Printemps sauvages, de Douna Loup

L'Être vivant libre

J'avais lu en 2010 le premier roman de Douna Loup, L'Embrasure, et je m'étais promis de suivre son parcours tant j'avais été charmée. Je retrouve l'écrivaine franco-suisse aujourd'hui, en 2021, avec ce livre magnifique. La beauté et la fraîcheur de sa plume sont inchangées, et une plénitude a rejoint l'intériorité de son récit. Notons aussi que ce roman a été écrit durant les longs mois de confinement et de restrictions sanitaires de l'année dernière. Il nous plonge dans un univers, une réflexion, un mode de vivre et de voir en correspondance parfaite avec l'aujourd'hui : la liberté, et l'amour du vivant scintillent à chaque page des Printemps sauvages.

Le roman s'ouvre sur les passe-temps d'une jeune adolescente, quelque peu enfant sauvage. Elle vit avec sa mère dans une maisonnette au bord d'un lac. Ses journées sont longues, à attendre que sa mère soit rentrée du travail. Mais elle ne s'ennuie pas en compagnie des éléments de la nature. Un beau jour, subitement, leur vie change. La mère abandonne son travail et largue les amarres. Ensemble elles partent sur les routes. Quatre années durant elles iront où leurs pas les mènent, s'arrêteront un temps pour travailler, dans une usine ou dans les champs, et repartiront. Jusqu'au jour où la jeune fille devient femme. Chacune poursuivra alors sa route de son côté. Nous accompagnerons la jeune femme sur une île, la verront vivre son premier grand amour, et s'engager dans les premiers grands projets de son existence. Tout ce temps, à ses côtés, nous sommes plongés dans la nature. Nature de fille, nature de femme, nature de plantes, de fleurs, d'arbres.

Oui, aucune dissociation n'est faite ici quant à la notion de nature. L'être vivant, quel qu'il soit, est d'égale importance, force, puissance et intelligence. Seule compte l'acceptation de ce corps qui s'inscrit dans un tout, sans discrimination ni hiérarchie. L'homme, la femme, la mère, la fille ont besoin de se trouver, de se reconnaître. Naît alors la possibilité instinctive du vivre ensemble, dans le respect de l'autre. L'illustration parfaite en est le personnage de Barnabé-Barnabée. Être hermaphrodite de grande beauté et de grande douceur, il-elle sera ce premier grand amour de notre personnage principal qui ne questionne pas, ne rejette pas. Elle a toujours eu cette approche avec tout, à commencer par le lac de son enfance au bord duquel elle s'allongeait à plat ventre pour laper l'eau tel un chien.

Je vous le disais au début de cet article, l'écriture est belle, le souffle qui s'y meut de grande fraîcheur. Et vous devinez déjà que le fond et la forme sont en cohérence parfaite. Je vous emmène dans un extrait du texte où la narratrice est arrivée sur l'île, nommée Locla-yom. Elle essaie de se retrouver, de se connaître et de se reconnaître dans ce nouvel être féminin qui prend corps en elle. Séparée de sa mère pour la toute première fois, elle n'a qu'une chose à faire : partir à la découverte d'elle-même.
« À Locla-yom l'eau vive, en masse, en mouvement constant était ma première enseignante. L'eau. L'eau vive parfois portant des méduses, charriant des algues et des coquillages, écumant sur le sable. L'eau qui rongeait les rochers, les faisait devenir tout lisses. L'eau vive qui était froide et réveillait mon corps lorsque je m'y plongeais, l'eau immense, déroulée aux confins embrassant l'horizon. L'eau qui dans sa force savait soutenir les bateaux, les porter sur son dos, les pousser, les lécher et parfois dans son ventre les avaler. L'eau qui n'avait pas de repos d'être, qui n'avait pas d'arrêt, qui était là, toujours, toujours, mais dans l'infinie variation de ces états d'être-là. Être là calme et plate avec son lissé de miroir du ciel, être là en vagues constantes, être là déchaînée, être là transparente, être là chargée de sable marron, être là froide, être là en flaques qui chauffent, monter, descendre, se retirer, jouer avec son langage de marées, et laisser voir impudiquement les rochers d'algues nues, les bouquets de moules fermées, les crabes roses et les petits bernard-l'hermite à la recherche de cachettes. L'eau vive m'apprenait à être là dans tous mes états. »
Notre narratrice, que Barnabé appelle Olo, reviendra sur le continent, après une année passée sur l'île. Elle s'installe dans une auberge communautaire où en échange du logement et de la nourriture chacun met la main à la patte. À table ils tentent de refaire le monde, et des groupes se constituent, chacun muni d'un projet. Olo et un groupe d'amis s'installeront dans une forêt avec des projets ambitieux dont nous suivrons les mises en place, difficultés, réussites.

Ainsi rien de nouveau ni de révolutionnaire n'est contenu dans Les Printemps sauvages quant aux propositions (de mode de vie) et de construction (de l'avenir). Parce que les nécessités de la nature, de l'Homme et de notre planète ont toujours été. Faut-il partir une longue année sur l'île de Locla-yom pour entendre en son sein cette nécessité ? À moins que notre longue période de pandémie internationale et les confinements successifs aient été implicitement un Locla-yom !

En plus d'être un délice, la lecture du roman de Douna Loup est une joie.
La joie intransigeante qui invite à vivre son corps et aimer sa nature. La légèreté miroite aux abords de chaque mot et gagne inévitablement le lecteur, quels que soient au départ ses goûts. J'espère que vous serez nombreux à vous lancer à la découverte des Printemps sauvages, dans le texte .. et dans la vie.

LES PRINTEMPS SAUVAGES
Douna Loup
éd. ZOE 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de David Hockney.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Vous pourrez écouter Douna Loup parler de son livre dans cette émission radiophonique.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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