Les sirènes du Pacifique, de Cédric Morgan

Vivre dans le présent

J'ai lu ce livre à l'occasion de notre Book Club thématique Les Îles, mais en réalité Les sirènes du Pacifique se situe dans une perspective historique du Japon et de la seconde guerre mondiale pour nous présenter un métier ancestral, perdu depuis. D'une écriture poétique, le roman se pose dans le bonheur de vivre, chaque instant, sans retenue et avec conscience. Il brosse aussi le tableau d'un pays, de sa manière d'aborder tout problème : ne pas lui permettre d'en être un.

Le roman s'ouvre par une nuit claire. Yumi, une petite fille qui a tout juste sept ans, guette la lente apparition des étoiles. Le décor est posé. Nous sommes sur l'île Toshijima, au Japon. La maman de Yumi est une ama, pêcheuse traditionnelle d'ormeaux. Ce savoir-faire se transmet de mère en fille et notre Yumi voit son avenir de ama se dessiner devant elle. Nous la verrons grandir et s'instruire dans ce domaine. Nous la suivrons une vie durant où elle sera toujours accompagnée et soutenue par ses consœurs, ces femmes ama qui par tout temps s'aventurent dans les profondeurs, affrontent tous les risques et dangers du métier pour remonter à la surface des ormeaux, des huîtres, algues et oursins. Elles plongent en tenue légère, et cette légèreté est insufflée dans leur vie, lorsqu'elles reviennent se réchauffer et bavarder un petit moment au sortir de l'eau. Seulement. Le destin et la Grande Histoire se mêleront de cette douceur projetée. Et notre Yumi verra ses chers partir pour la guerre, en revenir transformés ..

Si le roman vogue au rythme des saisons, de la douce brise du vent, de la floraison des cerisiers et pruniers, il n'oublie pas de nous restituer faits et gestes de ce peuple frappé par la seconde guerre mondiale, par les explosions atomiques et par le passage du temps. Le monde de la fin du livre est bien changé comparé à celui qui nous accueille au début. Le temps d'une vie la face du monde s'est redessinée et en cette petite île qui n'a rien fait d'autre que poursuivre ses pas, cheminer selon ses coutumes ancestrales, les changements inévitablement ont eu raison du passé.

Si j'ai eu tant plaisir à me fondre dans l'écriture de Cédric Morgan, c'est d'abord et avant tout parce que l'instant prime. Combien de fois, alors que tout s'effondre, que Yumi est chamboulée, elle lève la tête, regarde le soleil, hume l'air, et remercie la vie. Elle en apprécie chaque lueur, chaque vague. Attentive à la beauté, aux vibrations de la nature, elle est, par essence, satisfaite. Et elle n'est pas la seule à briller par l'amour de l'éphémère dans Les Sirènes du Pacifique.
Mais l'intéressant est de voir vivre ces femmes japonaises, cette caste à part, celle des pêcheuses ama. Une forme de liberté leur a été enjoint depuis toujours. Elle travaillent quasiment dénudées. Personne ne leur en impose, ni dans leurs horaires ni dans leur mode de vie. Bien-sûr elles sont japonaises, et les conventions sont là. Elles seront mariées suivant la procédure conventionnelle, par la voie d'une entremetteuse. Elles assumeront leurs responsabilités d'épouse et de mère. Mais elles seront femme. Et réunies elles se soutiendront dans les traverses délicates. Ainsi c'est un nouveau visage du Japon qui nous est donné à lire. Elle est documentée. Elle intègre en son sein tous les faits historiques et leur impact.

Comment l'auteur est-il parvenu à créer cette atmosphère dans le roman, et le maintenir de la première à la dernière page ? Parce qu'il s'est rendu sur place. Il a séjourné cinq longues semaines sur l'île des ama, ou ce qu'il en reste. Il était le seul occidental sur place. Il ne parlait pas la langue du pays et n'était pas accompagné par un traducteur. Il s'est glissé dans ce monde et il en est revenu avec ce livre qui s'était inscrit en lui, ces semaines durant.
Notez aussi que mille mots et formules japonais sont insérés dans le texte. Tout comme un glossaire qui se serait glissé dans le corps du roman, il nous permet de humer cette langue qui contient tant de concepts merveilleux et peu connus de nous. Fascinée comme je suis depuis toujours par le monde du Japon, je ne pouvais qu'être heureuse à la rencontre de ce roman ; et vous en parler à mon tour.

LES SIRÈNES DU PACIFIQUE
Cédric Morgan
éd. Mercure de France, 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Estampe de Utamara (Les amas),
- Photographie d'Iwase Yoshiyuki (ama plongeuses).
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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