Les tambours du dieu noir, suivi de l’étrange affaire du Djinn du Caire, de P. Djèli Clark

Au mois d'avril,  les éditions l'Atalante publiaient pour la première fois en France un ouvrage regroupant deux courts récits de l'historien et auteur américain P. Djèli Clark. Si vous êtes amateurs de surnaturel, d'uchronie et même d'univers steampunk assumés et, comme moi, n'avez pas encore eu la chance de le lire, vous devriez vous régaler. Le premier texte, qui donne son nom à l'ouvrage, Les tambours du Dieu noir, se déroule en Louisiane dans les années 1880. La Nouvelle-Orléans  est devenue un territoire indépendant et libéré de l'esclavage, alors que les États-Unis viennent de faire face à une guerre de Sécession qui a morcelé le pays. 
Au détour d'une ruelle, à la veille de "Maddi grá", Jacqueline, dite La vrille, de par ses capacités de grimpeuse et son talent non moins indéniable de pickpocket, surprend une conversation. Une arme dévastatrice, appelée les tambours du Dieu noir, serait sur le point de se marchander ici même, dans sa ville. Cet arsenal divin avait déjà été utilisé contre Napoléon lors de la libération d'Haïti, et tout le monde sait à quel point elle est dangereuse.

N'oublions pas que nous sommes dans une uchronie, et une particulièrement savoureuse, mais on ne peut s'empêcher de penser à la catastrophe Katrina en voyant les répercussions terribles que produit cette arme. Cohabitant depuis sa plus tendre enfance avec Oya, divinité africaine issue de la mythologie Yoruba et maitresse des tempêtes, de la vie, de la mort et de la renaissance, Jacqueline ne manque pas de courage ni d'espièglerie. Elle donne l'information à la capitaine du détrousseur de minuit, un dirigeable comme ceux qui survolent la ville, en échange de la promesse de pouvoir un jour rejoindre son équipage.

«- Les Planqués ? m’interroge la capitaine. 
-  Les Blancs qu’ont filé dans le bayou. On raconte qu’au début de la révolte contre les Confédérés, durant la guerre, tous les gros bonnets ont envoyé leurs familles se cacher avec les esclaves domestiques dans la Ville Morte. Sauf que, ces esclaves-là, ils avaient rejoint le mouvement et qu’y les ont laissés en plan. Quèques Blancs, ils avaient tellement les foies qu’ils se sont enfoncés dans le marais pour jamais en ressortir – y paraît qu’ils avaient entendu des rumeurs disant que les gens de couleur, ils tuaient tous les Blancs ou les réduisaient en esclavage. Ils y sont restés et pis ils ont eu des enfants. Qu’en ont eu à leur tour. Aussi sauvages que le bayou.

Dans L'étrange affaire du Djinn du Caire, nous voilà transportés dans une Égypte uchronique, où la technologie dépasse l'entendement. Nous sommes en 1912 et depuis de nombreuses années, après qu'un savant ait ouvert une brèche, les Djinn vivent parmi les humains, tout comme les anges, une entité au look de super-héros de métal, qui se prétend envoyée de Dieu mais dont la véritable nature est remise en doute. 
Fatma el-Sha'arawi, enquêtrice spéciale du Ministère de l'alchimie, des enchantements et des entités surnaturelles, est appelée sur une scène de crime ; un Djinn ayant subie une exsanguination. Cela semble être un suicide, fait plutôt rare pour un immortel. À ce contexte déjà assez tendu viennent s'ajouter des goules, qui sèment la terreur en ville ...

Loin de subir un format court, le personnage de Fatma est très intéressant. Femme forte en proie aux remarques et aux regards désapprobateurs de ses collègues masculins, notamment à cause des costumes anglais qu'elle porte chaque jour, lui conférant un "air exotique" comme elle aime à le dire, elle mène son enquête d'une main de maitre.

« Quand l’armada de Napoléon était venue reprendre l’île, elle avait vu des dizaines de canons qui tiraient en l’air depuis les plus hautes collines. Les François, ils s’étaient moqués de ces Noirs qui savaient pas viser, mais ils avaient pas ri longtemps quand le ciel était devenu aussi noir que la nuit et qu’une tempête les avait balayés de la surface de la mer. »

J'ai eu un réel coup de cœur pour le premier texte, et je ne peux continuer cette chronique sans citer le travail phénoménal qu'a dû fournir Mathilde Montier, la traductrice. Lors des premières pages, j'ai été assez gênée par certaines transcriptions de dialogues, par la façon de parler si singulière des personnages, et surtout de la capitaine dont l'accent haïtien est à couper au couteau. Mais on plonge dans l'histoire, on s'immerge sans même s'en rendre compte, et tout ça en grande partie grâce à cette traduction, parfois à la limite de la phonétique. Je n'en changerais pas une ligne, la langue est populaire, rythmée, les termes "créolisés" servent le texte, rien que le texte. Et s'il faut parfois relire une phrase à voix haute pour la comprendre, eh bien soit ! L'expérience n'en est que plus étonnante et unique ("Quiça tu veux en retou, tit nénette ?").

J'ai tout particulièrement aimé le côté très cosmopolite de la ville, et surtout la présence de Dieux africains auxquels je ne connaissais rien. Le cadre en lui-même donne envie de faire vivre encore de nombreuses histoires à La Vrille et à la capitaine, vraiment, il nous en faut plus !
Un autre point à signaler. Je suis convaincue que P. Djélì Clark aime profondément les personnages féminins, sinon comment pourrait-il les écrire aussi bien, en si peu de temps ?
Dans la palette d'émotions que parviennent à nous fournir ces deux novellas, n'oublions pas le rire. J'ai personnellement beaucoup aimé les bonnes sœurs à qui La Vrille demande l'aide, je vous laisse les découvrir, elles et leurs habitudes pas toujours très pieuses.
L'auteur met en place deux univers forts, et ce serait sacrilège de ne pas les faire vivre encore. Heureusement pour nous, L'Atalante vient de faire paraître en juin un autre texte particulièrement apprécié des fans de P. Djèlí Clark, Le mystère du tramway hanté. Pour ce finaliste des prix Hugo, Nebula et Locus de la novella, je peux vous assurer que je serai maintenant de tous ses rendez-vous.

LES TAMBOURS DU DIEU NOIR,
suivi de L’ETRANGE AFFAIRE DU DJINN DU CAIRE
P. Djèlí Clark
Traduit de l'anglais par Mathilde Montier
éd. l'Atalante, 2021, collection la dentelle du cygne
couverture : Benjamin Carré

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Original Jazz Band, Noel Rockmore, 1963
- Tanbou Asòtò, Préfète Duffaut, 2010

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani

Historienne de formation elle est enseignante, photographe et nouvelliste. Elle a été journaliste en freelance.
Responsable de la rubrique Littérature de l'Imaginaire, elle gère le compte et les communications Instagram. Elle est également l'experte polar de Kimamori.

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