Kasso, de Jacky Schwartzmann

" Mon job ? Je fais Mathieu Kassovitz."

Au début de l'année, j'avais été intriguée par un message instagram d'une personnalité que j'apprécie beaucoup et que je suis assidûment ; Mathieu Kassovitz. Photo à l'appui, il y parlait de la sortie d'un roman ayant pour thème un sujet qu'il connait relativement bien. Lui-même ! 
Je me suis empressée de me le procurer, et je peux vous assurer que je n'ai absolument pas été déçue. Au contraire, c'est d'un réel coup de cœur dont je vais vous parler aujourd'hui.

Le pitch est plus qu'alléchant. Depuis toujours, Jacky Toudic - fils de deux agrégés de philosophie- vit avec une surprenante particularité physique. Il est le sosie parfait de l'acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz, jusque dans la voix, à tel point que sa propre mère n'a jamais été réellement convaincue que ce n'était pas lui qu'elle voyait passer à la télévision. Sa vie professionnelle prend un tout nouveau départ le jour où, las de s'entendre poser la sempiternelle question "est-ce que vous êtes Mathieu Kassovitz ?", Jacky décide de répondre "oui". A partir de ce moment, sa voie est toute tracée, faite d'arnaque et de compte caché au Luxembourg. Sans prendre trop de risque, il parvient à se faire verser de grosses sommes d'argent par des admirateurs de Kassovitz qui rêvent tous de participer à la conception d'un film. En leur promettant une part sur les futurs bénéfices, ou tout simplement en leur faisant miroiter un monde fantasmé dans lequel ils peuvent, peut-être, faire leur entrée, Jacky obtient tout ce qu'il veut sans même avoir besoin de le demander.

«Moi je préfère les Beatles, tu vois. Rapport aux Rolling Stones. Les Beatles, ils avaient des chansons, mais les Rolling Stones, eux, ils avaient juste des chemises."

Après plusieurs années d'absence, Jacky revient vivre à Besançon, sa ville natale, pour s'occuper de sa mère atteinte d'Alzheimer. Mais pas de mélodrame en vue. Placée en EHPAD, la vieille dame est persuadée, entre autres choses, que Nagui, le présentateur qu'elle voit chaque soir à la télévision, est son fils et que Jacky est son médecin.
Jacky renoue avec de vieux amis qui n'ont pas l'air d'avoir réellement évolué depuis le lycée, dans le look comme dans la tête, et erre dans une ville qu'il ne supportait plus. Et qui, elle aussi, est restée strictement identique en tout point. Grâce à une application de rencontre, il croise la route de l'avocate Zoé. Perspicace, elle ne tarde pas à le démasquer. Loin d'être choquée par son mode de vie, elle lui propose d'arrêter de se contenter de menus larcins, et de monter le Kasse du siècle, le coup d'une vie ... faire croire que Kassovitz prépare La Haine 2, et dépouiller le producteur prêt à investir des millions dans le projet.

«J'ai toujours été persuadé que l'on  ne  pouvait pas devenir corse. (...) C'est le problème des identités fortes. Ce que je comprend, d'ailleurs. Il y a en arrière-plan une sorte de gymnastique de l'éthique que l'on pourrait résumer ainsi ; si tu veux devenir ce que je suis, c'est que tu ne respectes pas ce que tu es, et si tu ne respectes pas ce que tu es, tu ne mérites pas de devenir ce que je suis. Enfin, quelque chose dans ce goût-là. »

L'écriture est au vitriol. On rit, du début à la fin, de la plume acerbe, réaliste et sans concession de Jacky Schwartzmann. Que ce soit sa ville, l'amour, le monde du cinéma, les institutions, personne n'est épargné. Et ça fait un bien fou, c'est là toute la force du roman. Mais l'émotion est également distillée avec parcimonie et précision, surtout quand Jacky se remémore des souvenirs d'enfance avec son père, décédé depuis, et sa mère, vivante seulement de corps, ou encore lorsqu'il parle de son amour pour Zoé.
La bande d'amis de Jacky est désopilante. De médecin légiste à ado attardé roulant en Skate, ils passent leurs soirées dans des lieux improbables, en tenant des discussions tout aussi perchées.

Bien évident, dès les premières pages, le fantôme du vrai Kassovitz plane sur le parcours rocambolesque de Jacky. Vont-ils se rencontrer ? L'acteur va t-il apprendre qu'on se fait passer pour lui ? Je n'en révèlerai pas plus mais, à mon sens, cette mise en place et la conclusion à cette question a été faite avec beaucoup d'intelligence. 
Si, au début, Jacky semble espérer que sa mère meurt vite pour ne pas avoir à trop dépenser l'argent qu'il a mis des années à accumuler, il se révèle très vite sensible et attachant. Les femmes qu'il séduit dans le mensonge, les gros bonnets qu'il arnaque .. tout cela ne nous empêche pas de le trouver sympathique, et même de le comprendre. Extrêmement cultivé, je le trouve particulièrement honnête dans sa  "malhonnêteté". Oui, je me comprend. Fils attentionné, prêt à faire de fausses ordonnances de marijuana à sa mère juste pour la faire sourire, faux aigri qui ne rêve que de trouver le grand amour, il reste un type bien qui utilise un cadeau de la nature qu'il n'a pas demandé.
Le physique est une chose, mais Jacky travaille son personnage comme un acteur. Il apprend des anecdotes de tournages, des prétendus potins qu'il distille, comme des secrets d'alcôves, pour faire rêver ses victimes, pressées de garnir pour lui des enveloppes de billets. Comme un comédien dans un film, il leur offre, pendant un bref instant, un songe loin de leur routine ennuyeuse. Alors, certes, une place dans ce cinéma imaginaire revient bien cher, mais qu'importe ?

KASSO
Jacky Schwartzmann
éd.Seuil, cadre noir, 2021, 
couverture : Virginie Perrollaz

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- William Klein, New-York, Gun 1, 1954
- Identical Twins, Roselle, New Jersey, 1967, Diane Arbus

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani

Historienne de formation elle est enseignante, photographe et nouvelliste. Elle a été journaliste en freelance.
Responsable de la rubrique Littérature de l'Imaginaire, elle gère le compte et les communications Instagram. Elle est également l'experte polar de Kimamori.

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