Antonio Tabucchi, Écrire à l’écoute – dialogues avec Bernard Comment

« Peut-être est-ce précisément pour cela qu'on écrit : parce qu'on a découvert, comme l'a dit Pessoa, que la vie ne suffit pas. »

Comme vous tous qui lisez les pages de Kimamori, je ne saurais vivre sans lire. En cela j'imagine que mes meilleurs amis sont les livres. Pourtant, il ne m'est pas souvent arrivé d'être affligée, profondément et longuement, par le décès d'un écrivain. Antonio Tabucchi est l'exception à la règle. Des jours durant en 2012 j'ai trainé cette douleur dans mon corps, celle d'une âme dévastée, qui ne comprend pas.  Car je n'avais pas lu tout Tabucchi. J'étais bien peu connaisseur de son oeuvre, de son parcours. Mais c'est ainsi, Antonio Tabucchi m'est cher et j'en ai pris conscience le jour de son départ.
J'ai été heureuse de me fondre dans ce livre d'entretiens où nous parlent à tour de rôle l'écrivain toscan, et son ami de toujours, son traducteur aussi, l'éditeur Bernard Comment. Le livre tout entier est une émotion, un gage d'amitié, et il resuscite en nous la présence et la pensée d'un homme hors du commun, dans la singularité de sa simplicité.

Plusieurs entretiens sont réunis dans ce recueil, dont certains se présentent sous forme de dialogue porté à l'écrit, c'est-à-dire de lettres échangées. Un premier essai précède le tout, une préface, en quelque sorte, de Bernard Comment, d'une trentaine de pages, trace l'amitié entre les deux hommes de lettres, et se termine par ces mots : 
« La fréquentation d'un grand écrivain, d'un grand intellectuel, est un privilège, un cadeau de la vie. Vous grandissez par cette fréquentation. Vous apprenez à voir avec lui, à respirer avec lui. Vous profitez de lui pour vous améliorer.
Ce petit livre dit une amitié. C'est déjà beaucoup. »

C'est assez merveilleux, et délicieusement surprenant, d'être face à deux écritures, deux manières bien différentes de décortiquer et d'interroger le monde. Différentes dans la forme, dans le style, dans la mise en mots mais si proches, si harmonieuses dans leur approche des phénomènes, de la vie, de la littérature. Plongés dans ce va et vient entre des questions, et d'autres questions qui offrent des réponses sans jamais se faire dogmatiques ou absolues, le lecteur se perd dans un autre espace-temps. Nul besoin de préciser qu'il fait bon se trouver dans ce lieu très ailleurs, très délectable.

Je peux vous dire l'effet produit sur moi. Le désir, c'est-à-dire la nécessité absolue, de relire l'œuvre d'Antonio Tabucchi. Lire ce que je n'ai pas encore lu, relire les récits que j'avais lus et tant aimés. Ce livre est aimable car il nous met quelque peu sur la voie des textes à lire en premier, si nous ne les connaissons pas. Je sais que je reviendrai vers ces entretiens après avoir fait cela. Pour entrer plus avant dans leurs dires. Peut-être pour comprendre enfin à l'aide de ces différents livres, la magie Tabucchi, notre italien portugais, vénérable polyglotte. Il avait le don de regarder, de ce regard intense qui n'avait de cesse de dévisager toute chose, pour mieux l'aimer peut-être.

Je vous recommande chaleureusement Antonio Tabucchi, Écrire à l'écoute - dialogues avec Bernard Comment. Mais, vous l'aurez compris, je vous invite aussi à revivre les écrits de Tabucchi. Vous ne serez pas surpris de me voir revenir vers vous avec d'autres pastilles, de Requiem, de Tristano meurt, de recueils de nouvelles plus anciens, ou tout juste parus dans une traduction anglaise. Et j'espère consacrer un Hors-série de notre bimensuel à cette œuvre énigmatique et intelligente. En attendant, voici quelques mots de l'écrivain issu de ce livre d'entretiens :

« Rire, pleurer. Dans cette fiction que nous sommes contraints de vivre, et dans l'écriture, qui est la fiction d'une fiction, ce sont le rire et les larmes qui nous incombent. Aussi je veux pleurer et rire avec mes obsessions et avec mes fantômes, et c'est pour cela que je les ai invités à ma table pour de somptueux banquets. »

ANTONIO TABUCCHI, ÉCRIRE À L'ÉCOUTE
Dialogues avec Bernard Comment
éd. Seuil 2022
Collection Fiction & Cie

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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