La neuvième heure, d’Alice McDermott

La bonté est dans les actes

Alice McDermott est une écrivaine qui mérite d'être lue. Je découvre son écriture alors qu'elle est très loin d'en être à son premier roman, mais il vaut mieux tard que jamais ! Notez qu'elle a remporté le Prix Femina étranger avec ce roman et qu'elle a également été lauréate auparavant des prix littéraires américains les plus prestigieux. Professeure d'université, elle transmet son savoir, et son savoir-faire aux plus jeunes et toujours, reste humble et simple. Irlandaise d'origine, elle sait insuffler une âme propre à ses écrits. Et La neuvième heure est un bel exemple de l'alliance entre la perfection et la simplicité dans une oeuvre littéraire. Toute la force, et le paradoxe, de la vie humaine résonne dans ce roman, mais avec douceur. Et vous pouvez vous attendre à lire dans les pages de Kimamori des chroniques des autres romans d'Alice McDermott, car je soupçonne que ce soit le cas dans toute son oeuvre !

Le roman s'ouvre sur une scène dévastatrice. Un tendre mari accompagne sa jeune épouse jusque la porte. Elle est enceinte. Elle sort faire les courses. Il agence l'intérieur de l'appartement. Et avant que le lecteur ait eu le temps de comprendre ce qu'il manigance, nous en sommes déjà à l'après : il a ouvert le robinet de gaz, est parvenu à se suicider, une petite explosion a eu lieu dans l'immeuble. Les pompiers sont là et la soeur Sainte-Sauveur de la congrégation des Petites Soeurs soignantes des Pauvres Malades aussi. Voici que la jeune épouse revient...
Nous lirons dans la suite du roman la vie de cette femme, de son enfant, et celle de la congrégation qui soutiendra et accompagnera la mère et la fille. Et nous lirons, en arrière-plan, la vie de Brooklyn, dans un temps qui semble désormais révolu.

Les personnages phares du roman, hormis cette mère devenue trop tôt veuve, et sa fille, sont les sœurs de la congrégation. Leur action est vaste et d'un apport capital, au quotidien, dans la vie de bien des familles du quartier. Mais chacune a son histoire, ses sensibilités, sa bonté et ses reliefs. Sœur Lucy est intransigeante et inébranlable, sœur Jeanne est une éternelle enfant, sœur Illumanata est la reine de la blanchisserie et sœur Sainte-Sauveur un énigme de bonté ! Annie et sa fille Sally passeront leurs journées à la blanchisserie du couvent. Parce que c'est ainsi qu'elles sont aidées : la maman livrée à elle-même s'est vue proposer un emploi, et sa fille est là à tout moment, entourée des vapeurs de linge et des bons soins des sœurs qui viennent jouer avec elle, la divertir, et la choyer. Elles veillent sur la petite pour que la maman puisse sortir souffler dans l'après-midi. Et ces femmes qui se sont retirées au couvent se confieront à la mère et à la fille. Qu'ont-elles vécu dans leur passé, quelles déceptions ont-elles essuyé, quelle est la raison de leur choix de vie ? Nous le saurons. Et nous nous délecterons également de côtoyer l'amie d'Annie, et sa famille. Les deux mères étaient enceinte au même moment. Elles seront proches toute leur vie ainsi que leurs enfants, et nous enchanteront par leur finesse et leur humour !

Bien entendu nous sommes face à un énigme tout au long du roman. Qui est le narrateur ? Il semble être un descendant d'une de ces deux familles puisqu'il connaît dans le menu détail le vécu de chacun. Nous ne découvrirons qu'à la toute fin de l'histoire son identité. Et je ne peux vous la révéler au risque de divulgâcher des éléments importants de l'intrigue. Car, intrigue il y a. L'écriture est fluide. Les personnages tendres. Aucune tension ne viendra agiter le lecteur. Et pourtant, les rebondissements sont savamment distillés dans le récit. Bien des révélations attendent la jeune Sally, dont celle de sa propre nature. Car la vie est un long fleuve, non pas tranquille. Et cela qui réconforte, est la communauté à laquelle chacun peut se raccrocher dans les moments délicats.

J'ai été émerveillée par le don de l'écrivaine pour donner du relief et de la couleur à une vie et un monde tout en lissant le discours. Les personnages sont ordinaires mais si vastes, les destins si terribles et pourtant semblant anodins. Alice McDermott sait peindre les imperfections humaines sans jamais produire des faces viles, elle sait transcrire une époque avec beauté, dessiner le cours des vies avec délicatesse. Les grandes vérités n'en transparaissent pas moins. Les tragédies sont présentes mais sans besoin d'y insérer une violence gratuite et stérile. Le plaisir de la lecture est élevé. Le roman est exquis. Il nous transporte tout en nous plongeant dans les toutes petites choses du quotidien. Et je ne pourrais terminer cet article sans un mot sur la traduction. Encore une fois Cécile Arnaud rend le texte parfaitement : tel un écrit français délicieux, mais dans le respect absolu de la version originale et du style, de l'atmosphère, propres à l'écrivaine.

LA NEUVIEME HEURE
(The Ninth Hour)
Alice McDermott
Traduit de l'anglais par Cécile Arnaud

éditions La Table Ronde (Quai Voltaire) 2018 (v.o. 2017)
Prix Femina étranger 2018

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Matt Wisniewski,
- JR (street-artiste et land-artiste).

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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