Les femmes aussi sont du voyage, de Lucie Azéma

Une aventurière ?!

J'ai présenté ce livre lors de tous les clubs de lecture que j'anime, sans compter le Book Club thématique consacré à La Femme au mois de mars 2021. Pour les seules pages de notes en fin d'ouvrage, qui nous offrent une bibliographie quasi-exhaustive, ce livre mérite d'être chaleureusement accueilli dans nos bibliothèques personnelles. Mais cet essai n'est pas simplement un livre riche en références. C'est une promenade littéraire, une déambulation dans le temps et l'espace, son désir premier étant de rendre justice à la femme, grande voyageuse, et malheureusement grande oubliée en la matière. Léger, accessible, Les femmes sont aussi du voyage se laisse déguster avec plaisir et nous imprègne du sentiment d'avoir longuement conversé avec l'autrice Lucie Azéma.

Le récit cadre est très simple. Lucie Azéma s'engage dans une aventure de vie basée sur les grands voyages. Pour se préparer à ses premiers départs elle cherche à se documenter, à apprendre et appréhender le voyage par ceux qui, avant elle, ont entrepris ce déplacement fondamental. Or voilà, elle ne trouve pour ainsi dire qu'une littérature exclusivement masculine. Va-t-elle prendre peur ? Non. Elle s'offusque, elle persévère. Et déterre patiemment toutes les figures de femmes qui ont invité le danger et le risque de tous les instants dans leur parcours géographique et mental. Elle pousse plus loin ses recherches en décelant ce vocabulaire de voyage qui s'est fait très masculin. Et cette démarche la mène loin. Pas à pas elle questionne. Page après page elle offre des éclairages, des parcelles de réponse riches de lucidité et de détermination. Coûte que coûte elle démonte les raisonnements qui trahissent la femme. Et elle ira plus loin en faisant la parallèle entre le binôme homme / femme et celui, collectif, du pays dominant / pays dominé.

J'ai été un peu déconcertée au début de ma lecture. Je cherchais un socle, une table des matière d'intello structuré ! Peine perdue. C'est un labyrinthe dans lequel il faut se plonger. Et faire les recoupements lorsqu'on en sort. Car le texte fourmille d'éléments croustillants. Et avant de construire une thèse, le lecteur est invité à déconstruire. Ce tout plein d'images, de pensées et de phrases engrangées depuis la nuit des temps - dont nous n'avons pas bien conscience - demande à être dépoussiéré, secoué, bousculé. Et si quelque chose nous choque, si nous ne sommes pas d'accord, nous n'aurons qu'à plonger à notre tour dans cette vaste lecture référencée en fin de livre.

Vous l'aurez compris, mille figures de femmes sont présentées, leurs voyages détaillés, leurs écrits régulièrement cités. Or les récits de voyage plus largement connus sont aussi méticuleusement décortiqués. Ces hommes qui ont été vus comme de grands aventuriers et qui ont produit une œuvre littéraire prolifique, qu'écrivaient-ils sur la femme ?
En général je ne suis pas un défenseur des citations à charge. Toute phrase, sortie de son contexte, peut être prise en défaut. Oui, mais voilà .. ici le projet consiste précisément à dénoncer ces phrases que l'on ne relève jamais, ces formules que nous laissons passer et qui s'inscrivent chaque jour plus avant dans la conscience collective. Ce regard de haut, qui a été par trop souvent porté sur la femme n'est pas bien différent de celui porté sur l'indigène, l'esclave, le noir, le colonisé .. l'être inférieur. Et là, avec Les femmes aussi sont du voyage, on ne manquera pas d'exemples mis en lumière patiemment.

Je vous le disais, mille petites choses constituent le récit de Lucie Azéma. On se promène, on se délecte. Et régulièrement, certaine phrase, formulée très simplement, nous oblige à lever les yeux du livre et à s'interroger. En lisant les chapitres successifs j'avais le sentiment d'être installée confortablement tout près de l'autrice et de la regarder lire. Elle avait tant de livres posés autour d'elle. Elle avait souligné milliards d'extraits, recopié des milliers d'extraits dans ses carnets personnels, de note, de voyage. L'écrivaine devenait alors un compagnon de voyage de la lectrice que je suis. Mon sourire s'éveillait. Je réalisais que ce travail monumental qu'elle avait fourni était là pour dire à toutes les femmes ayez confiance, gardons la tête haute, et ne craignons pas de vivre, de savourer les instants de bonheur, quand bien même on nous aurait fait croire que cela pouvait être risqué, pouvait s'avérer fatalement dangereux. Et je terminerai par ces quelques mots d'Alexandra David-Neel que vous pourrez retrouver dans le livre :

« Mourir pour mourir, je préfère que ce soit sur une route quelque part dans la steppe, avec le beau ciel sur ma tête, et la satisfaction dernière d'avoir, au moins, entrepris ce que je souhaitais, plutôt que dans une chambre, tuée par le regret d'avoir manqué de courage, d'avoir renoncé à ce à quoi je tenais, et d'être dans l'impossibilité absolue de voir ce que j'ai voulu voir, de faire ce que je voulais faire. »

LES FEMMES AUSSI SONT DU VOYAGE
Lucie Azéma
éd. Flammarion, 2021

Les photographies présentées sont des portraits de :
- Alexandra David-Neel,
- Anne-Marie Schwarzenbach.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment