Des plantes et des hommes, d’Alain Amariglio

« Pour une fois, Sapiens ne sauta pas dans le premier train, échappa à ses automatismes et se souvint peut-être de la phrase que Bossuet n'a jamais écrite mais qui reste une perfection : Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Pour une fois je vais m'autoriser à commencer ma chronique par le commencement ! Je vous recommande chaleureusement, et avec ferveur, ce livre. Que des plus jeunes aux moins jeunes, toutes et tous le lisent... car il contient l'essence de ce que tout lecteur recherche fondamentalement : il nous fait traverser les temps, nous transporte par la beauté de sa langue et des mille histoires contées, nous instruit de mille manières et dans mille domaines, et surtout, il offre une expérience que je qualifierais de transformation. N'est-ce pas ce dont nous avons envie, en nous plongeant dans un livre, d'être autre en sortant du récit, de voir avec de nouveaux yeux, et de sentir notre cœur battre, vraiment !
Promenade botanique, mais aussi littéraire, Des plantes et des hommes nous fait revisiter notre histoire, depuis nos tout premiers débuts - à la naissance de l'univers - jusque aujourd'hui. Il nous raconte l'aventure du vivant avec douceur et lucidité. Une très belle préface de Gilles Clément et de succulentes illustrations d'Alain Cardenas-Castro complètent le tableau, pour notre plus grand bonheur. Et puis s'il nous fallait une autre cerise sur le gâteau pour nous allécher, un chapitre supplémentaire du livre est paru dans Le Monde diplomatique d'août 2023, enrichi d'illustrations extraites d'un herbier des plantes médicinales Aztèques.

Nous sommes ici dans une œuvre de littérature non-fiction, comme désormais on répertorie certains récits ordinairement rangés dans la catégorie essai. Dans une brève introduction l'auteur, Alain Amariglio, pose le contexte : durant les mois du confinement de mars 2020 il se trouvait à Vence, chez ses parents. Il a passé du temps dans le jardin, s'est enrichi de la bibliothèque familiale riche d'ouvrages de botanique. Il a regardé attentivement le vivant qu'il côtoyait et s'est lancé alors dans des recherches scientifiques, historiques, étymologiques, sémantiques... Il a sélectionné un petit nombre de plantes, fleurs, légumes, arbres autour desquels il a choisi de raconter ce grand voyage qui remonte au moment où notre univers est advenu. L'homme arrive tard dans cette histoire mais il y pose sa marque, revêtue de sa grandeur, de sa puissance cérébrale et de sa folie magnifique. C'est une histoire riche d'émotions couvrant la large gamme allant de la candeur enfantine à celle de la conscience qui se trace ainsi, et nous offre un éveil parfois désiré, toujours nécessaire.

Je vous parlais aussi de la promenade littéraire à laquelle nous convie l'auteur. Eh oui, l'intelligence et la beauté de l'homme sont disséminées tout au long de ce parcours. Les mots sont explorés, questionnés, approfondis. Et la grâce qui rayonne de ce livre ne nous épargnera en rien la possibilité d'enfin voir les choses pour ce qu'elles sont, de les comprendre très précisément, d'en mesurer l'ampleur et la force. Parce que pas à pas tout nous est présenté avec simplicité, et justesse. La formation scientifique d'Alain Amariglio lui permet de dénouer le mystère des phénomènes avec aisance, son passé de fondateur d'entreprise et de responsable du pôle Recherche & Développement lui offre cette capacité de percer les tenants et aboutissants de toutes choses - techniques, économiques, financières, temporelles. Son expérience (et sa conviction) d'instituteur insuffle au récit l'amour de l'humanité, ainsi qu'une quête et un potentiel pédagogique afin que l'on parvienne à saisir le sens réel des tous ces mots ultra présents dans les médias et les discours politiques, jusque-là restés obscurs et sources de confusion pour le tout un chacun. L'écrivain en lui, qui nous offre depuis une dizaine d'années des romans et récits hauts en couleur, n'oublie pas de nous choyer : il déplie sans ambages les vérités, pose les faits un par un, sans nous vampiriser, sans nous agresser, et, sans jamais nous entretenir dans l'illusion de nos doux rêves mensongers.

Prenons quelques exemples. Connaissez-vous l'histoire du topinambour, ou, plus précisément, de l'origine de son nom  .. ou le parcours inimaginable du Gingko biloba ? Saviez-vous en quoi la photosynthèse et le chemin parcouru par l'humanité pour en prendre la pleine mesure est un phénomène immensément remarquable ? Avez-vous déjà investi les contes merveilleux et effrayants du thé, de la cacahuète ou du petit épeautre ? Avez-vous déjà croisé l'histoire poignante du Silphium, cette plante qui fut, et qui n'est plus - exemple parmi tant d'autres de l'avidité de l'homme ? Vous êtes-vous déjà arrêté sur la magie des noms légendaires ou scientifiques des espèces et de leur famille élargie ?
Savons-nous d'où vient tout cela qui nous environne, nous nourrit et nous porte ?
Et nous sommes-nous intéressés à son chemin : où va-t-il, ce tout vivant, dont nous faisons partie ; ou dont nous pourrions ne plus faire partie très prochainement !
Eh oui, Des plantes et des hommes regorge d'histoires fantastiques et de découvertes insoupçonnées, au détour desquelles nous nous retrouvons plus vivants, plus empreints de conscience. La grande histoire de l'univers et la petite histoire de l'homme sont poignantes. Nous pourrons les trouver belles si nous décidons de devenir Homme, c'est-à-dire sensible et responsable, acteur et digne - en d'autres mots, si l'on se résout à déployer une sagesse un peu plus en ligne avec notre intelligence.

Ce livre est affaire de transmission. Au départ une transmission de parents sages (les parents Amariglio) vers leur fils en quête de sagesse (Alain Amariglio). Transmissions ensuite de toutes les connaissances à notre disposition, que l'auteur est allé pister. Le pas suivant serait une transmission générationnelle inversée à mon sens. Que les jeunes générations lisent ce livre, réalisent, puis instruisent leurs aînés, qu'ils leur montrent une autre manière de raisonner, celle qui préfère résonner sur les notes de la nature plutôt que s'abîmer dans la sempiternelle recherche d'intérêts et de gains personnels. En espérant que ce ne soit pas trop tard, cela va sans dire !

J'aimerais conclure sur quelques remarques et conseils pratiques. Le format du livre est idéal : cet ouvrage est un grand livre, par son contenu et pour sa grâce. Il aurait pu paraître en format Beau livre, et j'espère qu'il le sera dans le futur. Mais pour le tenir en main et le dévorer d'une traite comme je l'ai fait, le toucher des feuilles, la taille des pages, des caractères, et le poids du livre n'auraient pu être mieux étudiés. Vous pourrez picorer les chapitres à votre gré, comme je l'ai fait dans un premier temps, mais je recommande une lecture linéaire, tel un roman, de la première phrase à la dernière. Comme le dit Gilles Clément dans sa préface, le livre est si riche qu'une deuxième lecture sera tout aussi appréciée que la première*. Je précise que les deux premiers chapitres sont un peu techniques, clarté pour la suite oblige : la naissance de l'univers, l'arrivée du vivant et la fameuse photosynthèse, détaillées dans ces chapitres, nous permettent de mieux saisir d'autres aspects explorés dans la suite du livre.

Vous l'aurez compris à la lecture de ma chronique : toute bibliothèque privée ou publique n'attend qu'une chose, s'enrichir de ce livre que l'on voudra consulter encore et toujours.

DES PLANTES ET DES HOMMES
Alain Amariglio
Préface de Gilles Clément

éd. du Canoë 2023

* J'ai évoqué le propos de Gilles Clément dans sa préface ; voici la citation exacte : Pris dans l'élan d'un tel voyage, on a tendance à désirer en savoir plus sans lâcher prise. On lit en courant ! Il faut pourtant accepter de revenir sur ses pas pour approfondir, comprendre et mémoriser : tout ce qui est dit est important, et il convient d'en peser chaque mot, chaque réflexion.

Les illustrations présentées dans l'article sont issues - de la page de l'éditeur consacré au livre - du site du journal Le Monde diplomatique consacré au chapitre complémentaire d'Alain Amariglio (le livre noir du haricot vert).

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment