Une vie entière, de Robert Seethaler

Peut-on raconter une vie entière en cent cinquante petites, toutes petites pages ? Une vie qui de surcroît serait d’une simplicité effarante, tachetée pourtant de grands événements. Evènements relevant de la Grande Histoire qui passeraient presque inaperçus tant le lecteur est fondu dans la mélodie silencieuse qui enrobe chaque mot du récit. Voilà l’exploit de ce livre. Il dit, avec beauté, les petits riens qui sont l’essence de la joie et du bonheur. Il dit, avec crudité, les labeurs et efforts qui permettent de subsister, qui marquent à jamais une vie, sans parvenir à l’anéantir.

Andreas Egger, orphelin, est élevé par un parent, fermier en montagne. Il grandit et devient fort. Maltraité par son parent, il le quitte le jour où il peut enfin lui tenir tête. Et il restera dans ces montagnes, toujours. Il travaillera ici et là puis s’engagera dans l’aventure de la construction des téléphériques. Il verra la montagne évoluer et devenir l’invite des touristes skieurs et alpinistes. Il connaîtra l’amour, la guerre, le bonheur, le malheur. Il traversera tout cela et restera égal à lui-même .. à l’image de la montagne que l’aura porté et nourri, qui l’aura accueilli et rejeté, qui l’aura soutenu, traumatisé et finalement gardé.

Le récit nous happe par sa poésie discrète. Le livre est sobre, l’écrivain raffiné. Voyez par vous-même :

« Quand il eut atteint le fond de la combe, il vit dans l’air un mouvement presque imperceptible. une petite chose blanche qui dansait, juste devant ses yeux. Puis une autre, aussitôt après. L’instant suivant, l’air était empli d’une foule de minuscules lambeaux nuageux en suspension qui descendaient lentement vers le sol. Egger pensa d’abord que c’étaient des fleurs portées par le vent, venues d’on ne sait où, mais on était fin septembre, plus rien ne fleurissait à cette période, encore moins à cette altitude. Alors il réalisa qu’il neigeait. Toujours plus drue, la neige tombait du ciel et se posait sur les rochers et sur les prés verdoyants. Egger continuait d’avancer. Il faisait attention à ses pas pour ne pas glisser, et tous les quelques mètres, essuyait les flocons de ses cils et de ses sourcils du dos de la main. A ce geste, un souvenir lui revint, la pensée fugace d’une chose qui remontait à très longtemps, rien de plus qu’une image très floue. « Il n’est pas encore temps », dit-il tout bas, et l’hiver se coucha sur la vallée. »

Une vie entière

UNE VIE ENTIERE
Robert Seethaler
T
raduit de l’allemande (Autriche) par Elisabeth Landes
Éditions Sabine Wespieser, 2015

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