Shamisen, par Guilherme Petreca et Tiago Minamisawa

« Si les humains ont le devoir de survivre, les artistes, eux, ont la lourde tâche de justifier leur existence. »

Chez Kimamori, nous aimons les livres pour ce qu’ils racontent, ce qu’ils transmettent, mais aussi pour l’essence même de ce qu’ils sont. Shamisen, la nouvelle publication des éditions Ankama, est de ceux-là. L’objet livre est d’une incroyable beauté, et le contenu de ses pages ne cesse de vous éblouir au fil de la lecture. La couverture, épaisse et texturée, ainsi que les pages qui semblent vieillies comme un vieux parchemin en font une œuvre magnifique, à offrir et à se faire offrir !
Le roman graphique Shamisen nous raconte l’histoire envoutante d’Haru, une joueuse de shamisen, un instrument traditionnel japonais à trois cordes, proche du luth et d’une exigence redoutable. C’est une goze, musicienne itinérante et aveugle, dont l’histoire est inspirée par la vie de l’une d’entre elles, Haru Kobayashi, une des dernières joueuses de shamisen dont la vie est présentée par les auteurs en fin d’ouvrage. Du côté des deux créateurs brésiliens, d’ailleurs, Guilherme Petreca, illustrateur, est lui aussi un joueur de shamisen. A ses côtés, le scénariste et producteur de court-métrage, Tiago Minamisawa, multirécompensé pour ses œuvres.

Shamisen nous offre un voyage onirique et sensoriel immersif, notamment grâce à la playlist proposée en début d’ouvrage à travers un QR Code à scanner pour se plonger dans les musiques qui ponctuent l’histoire. On navigue entre mythologie japonaise, dessins envoutants et poésie, poésie des mots et de l’image. Haru chante, accompagnée de son shamisen, au gré de ses voyages, dans des lieux où parfois elle n’est pas la bienvenue. Dans d’autres, au contraire, elle apporte à tous ceux qui l’écoutent réconfort et magie pour lesquels on lui offre un peu de riz pour la remercier.

Alors qu’elle est traitée de mendiante par un homme présent au milieu d’une foule attentive, elle se confond en excuses envers ceux qui ont été importuné par sa musique, remercie ceux qui ont apprécié, et elle part. C’est là qu’elle rencontre un kappa, un diablotin aquatique du folklore japonais. Lui qui est plein de rancœur contre les Hommes qui ne cessent de le chasser, le petit monstre est attendri par cette femme qui n’a pas peur de lui et qui, au contraire, lui prodigue de sages paroles. Charmé par la musique d’Haru autant que par ses mots, il lui offre en cadeau la clé de la dimension divine. Commence alors le voyage, où lieux et rencontres avec des divinités japonaises, avec lesquelles elle peut communiquer, s’entremêlent.

Avec des couleurs douces, des pages foisonnantes, nous partons pour une envolée philosophique, sur le respect, l’entraide, la vie et son lien avec la mort, mais aussi une déclaration d’amour au shamisen et à tout le folklore japonais.
Les bonus présents à la fin de l’ouvrage permettent d’appréhender un peu plus avant certains éléments de l’histoire, comme par exemple des croquis des personnages, l’histoire du shamisen et des goze, les nombreuses références bibliographiques ou cinématographiques et musicales, la vie des musiciens Haru Kobayashi – célébrée tardivement comme un vrai trésor national - ou Chikuzan Takahashi, nous avons même des explications et des articles rédigés par des chercheurs en culture japonaise. Bref, une œuvre complète qui allie parfaitement beauté, culture matérielle et immatérielle, mythes, légendes et patrimoine.
Si elle a ému le petit kappa avec son shamisen comme l’aurait fait Orphée lui-même, ses rencontres avec les autres êtres du folklore japonais ne seront pas toutes aussi amicales ! Yuki-Onna, sorcière des neiges, se montrera dure avec Haru, la punissant de ne pas vouloir jouer pour elle alors que la musicienne est transie de froid. Dans une autre rencontre, elle parviendra seulement avec sa musique et sa bonté à convaincre Shinigami, le dieu de la mort, à donner encore un peu de temps à un homme malade …
Chaque aquarelle rend parfaitement hommage aux ambiances des lieux et aux personnages. Haru vit dans l’instant, elle ne cherche pas à comprendre toutes les complexités du monde. Seule suffit la beauté et l’harmonie des sons, la résilience, l’unité des Hommes face à la musique et la fragilité de la vie.

SHAMISEN
Guilherme Petreca et Tiago Minamisawa
Traduction : Miriam Pais Elisio
éd. Ankama, 2023
couverture : Guilherme Petreca et Bruno Zago

La photographie en tête de l'article est d'Amalia Luciani pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani.

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