Charming Billy d’Alice McDermott

Une vie à croire que...

J'ai lu récemment une nouvelle de l'écrivaine américaine-irlandaise Alice McDermott, qui m'a tant plue que j'ai décidé de lire tous ses livres. Sa plume me ravit. Sa manière de voir les êtres humains et tendrement dépeindre leurs travers m'enchante. La douceur, la lenteur, et la solide colonne vertébrale de ses romans bercent mon âme.
J'ai décidé d'aborder son oeuvre par les deux bouts : son tout dernier roman (La neuvième heure) et l'un de ses tout premiers. Étrangement, j'ai eu le sentiment que ces deux livres se tenaient la main. Tous deux donnent voix à un narrateur descendant d'un personnage central du roman. Et tous deux dévoilent un secret, un élément clé vers la fin du récit. Le lecteur se fond dans un texte qui paraît tranquille, mais bien-sûr il s'éveillera in fine pour reconnaître que la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Et c'est avec finesse que l'écrivaine réussit son petit tour de magie !

Le roman s'ouvre sur des funérailles et tout au long du livre ce fil sera gardé. Nous assisterons à la veillée, nous accompagnerons les très proches qui après la veillée vont encore prendre un verre ensemble. Et tout ce temps c'est la fille du meilleur ami et cousin du défunt qui raconte l'histoire. Elle insère au fur et à mesure des scènes du passé qui éclairent le récit progressivement. C'est Billy Lynch qui vient de mourir, le fameux Charming Billy que tout le monde aime, que tout le monde aimait tant. Ce garçon au cœur d'or, bienveillant et aimable avec tous, candide jusqu'au bout des ongles semble-t-il. Or très vite on sait qu'il était alcoolique, de plus en plus gravement atteint d'alcoolisme, avec tout ce que cela représente d'horreur. Il est d'ailleurs décédé suite à une énième soirée trop arrosée, les policiers l'ayant trouvé couché, inconscient, sur le trottoir. Mais bien-sûr c'était un garçon bien. Sa vie a commencé par un grand amour. Dès lors que l'objet de son amour, cette femme révérée, a disparu de sa vie, il s'est laissé dégringoler, un peu plus chaque jour. Or les détails de l'histoire, la vérité sur cette femme idéalisée sont plus scabreux. Tous quelque part le savent. Mais Billy, lui, que savait-il, qu'a-t-il su ?

C'est une histoire de famille qui est narrée dans ce roman. Une famille réduite, avec les quelques personnages que nous suivrons du début jusque la fin, et puis la famille élargie : celle des irlandais américains, celle plus largement de la grande Irlande répartie ci et là. Alice McDermott est elle-même une américaine qui vit son âme d'irlandaise au quotidien. Naturellement elle en parle merveilleusement dans ses romans.

L'enfer est pavé de bonnes intentions, on connaît le proverbe, et l'on en convient facilement. Mais lorsque la chose est racontée dans un roman, que le proverbe prend vie et éclabousse méchamment des destinées humaines, on s'interroge. Ceux qui aiment, veulent le bien de l'être aimé, à tout prix, au prix même de leur propre lâcheté. Et comment le vivent-ils dans le temps. Ne valait-il pas mieux un mal qui aurait eu peu de conséquences plutôt qu'un bien censé protéger l'être aimé et qui l'aura anéanti une vie durant ? La question est posée dans ce livre. Aucun réponse n'est valable. Et la force d'Alice McDermott est dans son don naturel pour ne pas faire place à l'inutile intellectualisation des questions humaines. La vie n'est pas une équation mathématique, et certes pas de celles qui ont une solution simple et fixe. Les jugements seules sont l'erreur à ne pas commettre dans la science de la vie. À aucun moment ce n'est dit dans les livres de l'écrivaine, ni même évoquée, et encore moins soupçonné. Simplement ses personnages sont dans l'acceptation, de la vie et d'eux-mêmes. Ils sont dans l'amour, qui a pour synonyme la présence et l'accompagnement. Dennis, le plus proche ami de Billy, son cousin, passera des décennies à recevoir des coups de fil en pleine nuit et venir secourir l'ivrogne, ou l'épouse de l'ivrogne. Soir après soir. Toute une vie. Il le fait. L'épouse de Billy agit de même. Elle aime son mari, elle l'a choisi, elle l'a désiré, l'a accepté tel que. Et jour après jour, elle répare les dégâts causés par cette homme délicieux, charmant, et gravement alcoolisé tous les soirs...

N'y a-t-il rien de vilain, de moche, d'inacceptable dans les livres de McDermott, pas de personnage d'affreux, de méchant ? Eh bien. La laideur est racontée en beauté. Une seule scène dans le livre suffit pour statuer la chose inadmissible. Mais là encore. C'est une chose que l'on traverse, comme tout le reste dans la vie. La haine n'existe pas, mais l'inconscience vogue.

J'aime lire Alice McDermott, et je vais continuer de vous parler de ses romans. Mais il est une autre chose qui m'a transportée pendant ma lecture de Charming Billy : c'était l'objet livre lui-même ! Le roman existe désormais dans une version poche de l'éditeur français La Table Ronde. Mais attention, c'est un poche qui est beau ! Les feuilles sont fines et douces comme dans un recueil de La Pléiade. La typographie est belle. Les illustrations des premières pages sont à ravir. Et le jeu des couleurs entre l'illustration et le texte m'a émerveillée. Sur toutes les pages de Charming Billy, en version Petit Quai Voltaire (nom de cette collection poche exquise) il y a un dessin, c'est un oiseau bleu. Et les numéros de page, ainsi que le titre du livre, en en-tête de chaque page, sont bleues comme ce petit dessin, comme la belle illustration des premières pages du livre. Dans d'autres romans de cette collection c'est une autre couleur qui est adoptée.

      
Alors, plongée que j'étais dans le récit, de temps à autre je faisais une pause, je regardais le livre lui-même, je le caressais de la main, je m'extasias, je constatais mon propre grand sourire, et je me replongeais dans le roman. Ne vous étonnez-pas si bientôt je consacre une chronique à cette collection Petit Quai Voltaire !...

CHARMING BILLY
Alice McDermott
Traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek
éd. La Table Ronde 1999 (v.o. 1998)
sortie poche Petit Quai Voltaire, 2016
Lauréat National Book Award
Lauréat American Book Award
Nominé International Dublin Literary Award

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Sally West,
- Christine Bell.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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