Soleil trompeur, de Pascal Malosse

A travers vingt nouvelles, Pascal Malosse offre au lecteur que nous sommes un voyage dans le Sud, au sens le plus large. Loin d’être une promenade idyllique, l’étrange imprégné d’angoisse côtoie le calme d’un petit village corse, la chaleur oppressante d’une thalasso en Toscane, ou encore les rues fantomatiques de Venise …
Un des points forts de ce recueil est la grande cohérence et l’homogénéité des nouvelles qui le composent. Aucune ne m’a donné l’impression de ne pas être à sa place, ou d’être inclue pour combler un manque. Ensemble, elles tombent juste. Le deuxième point qui m’a profondément marqué est la qualité de l’écriture. La plume de Pascal Malosse est riche et très travaillée, on y décèle un grand soin dans le maniement des mots.

« La mer suante n’apportait aucune fraîcheur. Je ne supportais pas le silence terrifiant que les habitants ne voulaient plus rompre. Seules les mouettes et les meurtrières des fortifications hurlaient.  »

En intégrant des éléments étranges, incompréhensibles, voire clairement fantastiques (la quête d’une fontaine de jouvence dans « Jusqu’à la source », « La musique de la montagne », avec une bête mangeuse d’ondes …) et inexpliqués dans certaines nouvelles, l’auteur fait vaciller les esprits et endommage les décors qui semblent pourtant si chaleureux, démontrant que le danger sous toutes ses formes peut se cacher même dans les endroits les plus accueillants. De par les points de vue employés et la narration immersive, nous ne savons jamais réellement si le danger est réel ou seulement présent dans l’esprit du personnage principal, s’il se laisse déborder par une imagination galopante ou s’il court à sa perte.
Beaucoup de nouvelles se terminent par une chute brutale, mais nous sommes aussi très souvent laissés dans le mystère ambiant, comme par exemple dans « Souvenir d’enfance », « L’enterrement », ou encore « Rêve sans issue ».
Dans « La portraitiste », nous découvrons une femme extrêmement douée pour le dessin, qui voit son mari changer affreusement, autant physiquement que mentalement. Dans cette histoire, je me suis imaginée que, dans une sorte de Portrait de Dorian Gray revisité ; cette femme est capable de rendre fou ses modèles, en leur ôtant une partie d’eux même à chaque coup de crayons. Même si on trouve aussi de vrais monstres - « La musique de la montagne » - la peur peut venir de n’importe quel autre artifice, par exemple dans « L’arme du crime », où un homme connaît une mort affreuse, terrorisé par un enfant et … une grenouille.

« L’espace d’une seconde je vis Marie et les enfants souriants sur une photographie dont j’étais absent. La seconde suivante, je cherchai un objet coupant pour me trancher la gorge, mais la cave était désespérément vide. Je regrettai stupidement de ne jamais m’être occupé du jardin. »

Ces nouvelles ont souvent un sous-texte avec des thématiques fortes, c’est le cas par exemple dans « Le jeu », où de grands patrons immensément riches se divertissent en jouant leurs entreprises – et probablement la vie de leurs employés – comme s’il s’agissait juste de jeux d’échecs. Dans « La cathédrale », la civilisation semble avoir grandement évolué, et la seule divinité trouvant grâce aux yeux de l’humanité est Mère Nature elle-même.
L’auteur joue avec les époques comme il joue avec nos nerfs ; un futur dystopique (« La cathédrale », « voyage organisée » …) laisse place au printemps 1876 en Bulgarie, à l’été 1994 en Grèce ou encore à l’Italie fasciste de 1943. On voyage, autant par les décors qui défilent que par les émotions qui se succèdent.

J’ai eu un véritable coup de cœur pour la nouvelle « L’île morte », la deuxième du recueil. Une île italienne est mourante, elle abrite une prison abandonnée et quelques habitants délaissés du continent. Cette terre austère voit arriver un homme portant un lourd fardeau, dont la délicatesse de l’écriture livre minutieusement les détails, sans jamais trop en dévoiler.
Avec Soleil trompeur, nom emprunté au film de Nikita Mikhalkov, Pascal Malosse propose vingt nouvelles toutes plus originales les unes que les autres. On se laisse guider dans les médinas ou près du théâtre antique d’Epidaure, en nous gardant bien tout de même de laisser s’endormir nos sens, de peur d’être engloutis par quelque ombre …

SOLEIL TROMPEUR
Pascal Malosse
éd. Malpertuis 2020
couverture : Mathieu Seddas
collection Brouillards dirigée par Thomas Bauduret

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Van Gogh, la vigne rouge 1888
- La strada entra nella casa, 1911, Umberto Boccioni

Amalia Luciani

Historienne de formation elle est enseignante, photographe et nouvelliste. Elle a été journaliste en freelance.
Responsable de la rubrique Littérature de l'Imaginaire, elle gère le compte et les communications Instagram. Elle est également l'experte polar de Kimamori.

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