Le jour du typhon, de Keigo Shinzo

Sur Kimamori, on aime les recueils de nouvelles. Aujourd'hui, je vais vous parler de nouvelles, oui, mais d'un manga ! Le jour du typhon regroupe sept récits courts et totalement farfelus publiés par Keigo Shinzô au début de sa carrière en 2012, et même bien avant pour certaines. 
Des histoires décalées, un style qui se cherche et un dessin en évolution, mais déjà un petit quelque chose que l'on sent naître et se développer pour donner naissance plus tard à des œuvres majeurs telle que "Mauvaise herbe". N'écrit-il pas à la fin du recueil que " le format court est un espace d'expérimentation " ? Cette idée se ressent à chaque nouvelle, même si toutes possèdent de forts points communs.

Dans ce recueil, le mangaka  présente un enchainement de duos insolites, mal-assortis ou au contraire fusionnels, mais surtout touchants (pour la plupart !). Ensemble, ils vivent une situation déroutante, où le mystère n'est  jamais bien loin ainsi que certaines problématiques de la société nipponne. Souvent très ironique, aux conclusions au parfum doux-amer, ces nouvelles sont un agréable moment de lecture pour ceux qui souhaitent connaître les débuts d'un futur grand nom du manga.
La première nouvelle s'appelle "Le monstrobière", un titre qui donne le ton ! Deux amies découvrent , en pleine rue, un petit monstre qui a tout pour plaire au public japonais fan de tout ce qui est kawaï (super mignon). Sauf que ce drôle de personnage a une caractéristique qui le rend encore plus étrange ; il ne se nourrie que de bière. Elément assez amusant s'il ne s'avérait pas potentiellement très dangereux …
Dans "Fellowship", un mangaka qui doit terminer une histoire dans les deux jours s'il veut avoir la chance d'être publié dans un magazine se voit contraint de cohabiter avec un braqueur en fuite qui s'est introduit chez lui pour échapper à la police. C'est une des nouvelles que j'ai préférées, par la façon dont le personnage réagit pour continuer à écrire son manga, et la fin assez drôle mais encore une fois révélatrice sur des difficultés et de la pression qu'offrent le système de publication japonais.
La troisième nouvelle, "Captif", se résume assez simplement ; un jeune homme, contraint d'abandonner sa chatte Hanako sur ordre de son propriétaire, croit la retrouver un jour chez lui, sous une forme humaine ! Et on peut dire qu'Hanako est plutôt tyrannique.

"Comme un frère" raconte l'histoire d'un jeune garçon toujours accompagné d'un grand frère un peu particulier, puisqu'il s'agit d'une sorte d'extraterrestre. C'est une jolie histoire, où le garçon (Takashi) se confronte à l'image biaisée qu'il se faisait d'avoir un frère. En effet, ses amis lui affirmaient qu'un grand frère se doit d'être sévère et critique : or ce "frère" trop gentil porte à Takashi un amour bien réel.
J'ai également beaucoup aimé "Swan", que j'imagine être adapté en film : un jeune homme, chômeur, est assis au bord d'un canal après avoir essuyé un énième échec professionnel. A ce moment-là, il voit passer devant lui un pédalo en forme de cygne, avec à l'intérieur Monsieur Yamamoto, complétement désorienté, qui vient de perdre son travail et ne possède plus rien hormis sa drôle d'embarcation. Les deux hommes naviguent alors pour une destination incongrue : l'île natale du vieil homme ! C'est très drôle, déjanté, et assez émouvant.
On trouve ensuite "Les visiteurs", dans lequel un jeune couple cherche désespérément un appartement à Tokyo - enfin, lui cherche et elle se plaint de tout -, laissant transparaître la difficulté de se loger convenablement dans la capitale, l'auteur expliquant avoir eu l'idée de cette nouvelle lors d'une recherche d'appartement.
La dernière histoire, celle qui a donné son nom au recueil, "Le jour du typhon", est également l'une de mes favorites. Alors qu'un terrible typhon sévit sur le pays et que se déroule l'évacuation de toute une région, deux amis se cachent des secours pour rester tranquillement dans leur maison, coupés du monde. Jusqu'au moment où ils ne pourront plus ignorer la catastrophe qui les encercle, peut-être une belle métaphore sur l'énergie que nous déployons pour ignorer les signaux d'alerte que nous envoie le climat depuis de nombreuses années.

LE JOUR DU TYPHON
Keigo Shinzo
Traduction : Aurélien Estager
éd. Le Lézard Noir, 2022

La photographie en tête de l'article est d'Amalia Luciani pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani.

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