Le Rocher blanc, d’Anna Hope

« Elle sait qu'elle emportera cette histoie avec elle, jusqu'à un lieu sûr, en hauteur. (...)
Et à travers ce récit, l'avenir écoutera, trouvera son chemin. »

J'entre dans l'œuvre d'Anna Hope avec ce roman de la Rentrée littéraire 2022, et quel bel accueil j'y trouve. Le Rocher blanc est une lecture délectable ; c'est aussi un roman que l'on aurait tous aimé avoir écrit. L'Histoire s'y trouve, les émotions sont présentes - telles quelles et de tous les tons - les personnages offrent un joli éventail de tous temps et tous lieux. Mais l'essentiel est dans ce qui relie le tout. La simplicité et l'évidence étincèlent à chaque page, et l'élégance du récit nous envoûte. Ici tout est révélation, porté avec douceur et profondeur.

Quatre histoires nous sont racontées. Chacune se déroule à une époque différente et met en scène des personnages différents. Nous avons à chaque fois un personnage central autour de qui se tisse le récit. Mais toutes les histoires sont situées aux confins du Mexique, où les uns et les autres convergent, autour d'un rocher blanc s'élevant de la mer. Quatre dates : 1775, 1907, 1969 et 2020 ancrent les fils des histoires narrées, installées dans une époque et des préoccupations propres. Et pourtant quelque chose se révèle par la présence simultanée de ces récits dans un même roman. Exactions et réparations, erreurs du passé et quêtes du présent nous en diront long sur l'histoire de l'humanité, sur le visage glaçant, malheureux ou lumineux de l'Homme. La sensibilité est grande, toujours, et c'est l'élément minéral immuable qui semble contenir la trace des horreurs du passé et détenir la promesse d'une libération.

Les quatre histoires en question sont racontées en deux temps chacune, dès lors nous avons les chapitres de L'Écrivaine, 2020 - Le Chanteur, 1969 - La Fille, 1907 - Le Lieutenant, 1775 qui défilent dans cet ordre. Vient ensuite un chapitre central, d'une seule page, qui se nomme Le Rocher blanc, et puis se déroulent les dénouements des quatre premiers chapitres en ordre inversé, en commençant par Le Lieutenant et en se terminant par L'Écrivaine.

Une structure carrée régit le livre dont le puissant souffle serait davantage spiralaire. Le lecteur est silencieusement stupéfait de voir avec quel brio l'écrivaine parvient à installer l'Unité du roman. On est porté par la force de chacune des aventures. On s'attache aux personnages en quelques pages, on est tout près d'eux, on entend le chaos qui les entoure ou les secoue, la sincérité qui fait battre leur cœur, l'incohérence qui réside en leur temps. Leurs actions, les injustices subies ou perpétrées, leurs désirs de réussite et leur inaptitude au bonheur sont inscrits dans les quêtes personnelles ou les destinées collectives qui les dépassent. Aussi étonnant que cela puisse paraître, un suspense tendu porte le roman, porte chacune des histoires où les uns et les autres se débattent avec les vérités invisibles et fantômes de chair. Surtout, nous nous accrochons à ce rocher blanc. Quel secrets - quels secrets - renferme-t-il en son sein. Quel pouvoir gronde en son for intérieur, à même d'élever toutes ces âmes, après les avoir brassées, confrontées et confondues ?..
Conquêtes, esclavage, étincelles d'une vie de vedette vite déchue, et puis aujourd'hui, en 2020, ces hommes et ces femmes qui se rendent en pèlerinage vers ce rocher, pour y déposer la noirceur du passé et offrir à soi et au monde un lendemain vivable. Eh oui, tout cela palpite dans le roman, danse sous nos yeux, nous fait pleurer ou tendrement sourire. Et puis, en prime, sans jamais être nommé, notre Chanteur n'est autre que Jim Morrison !

Très beau roman que j'ai eu plaisir à lire, Le Rocher blanc réunit en son sein tout comme quatre nouvelles qui content la même fable. Ce sont quatre très beaux films cinématographiques. Et l'ensemble nous parle, résonne à nos oreilles, nous qui savons aujourd'hui que la planète, la Terre mère, fait son chemin inlassablement, malgré nous, petits humains défaillants, et, avec nous, petits humains sensibles. Savoureux, solide, de grâce et de finesse brodé, le roman d'Anna Hope est merveilleux.

LE ROCHER BLANC
(The White Rock)
Anna Hope
Traduit de l'anglais par Élodie Leplat

éd. le bruit du monde 2022 (v.o. 2022)
Sélection Prix Médicis roman étranger 2022

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de Dominique Le Marois.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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