Héctor, de Léo Henry

« L'Éternaute nous rappelle que le monde est entièrement tissé de temps et de lieux qui ne sont pas interchangeables. »

De temps à autre il m'arrive entre les mains un excellent livre sur l'Argentine, un de ces romans qui savent trouver des dispositifs et constructions littéraires innovants pour dire - comme c'est le propre de la littérature – toujours la même chose. Parce que l'Argentine, celle des « disparus », nous la connaissons, l'avons lue et savourée sous la plume d'écrivains argentins et latino-américains. Mais que viendrait faire dans cet univers un jeune écrivain français ?! Léo Henry a osé relever le défi, pour notre plus grand bonheur. Il nous introduit tant l'histoire argentine que celle d'un auteur illustrateur révéré et ami de Hugo Pratt, Hector German Oesterheld .. et nous plonge dans son œuvre désormais mythique, la toute dernière léguée à l'humanité avant sa « disparition » en 1977 : L'Éternaute. Borges et ses labyrinthes ne sont jamais bien loin, mais ici nous côtoierons aussi un Borges moins connu, une autre des mille voix de l'écrivain révéré .. celle qui se taît.

Plusieurs récits se tiennent la main dans le roman, pour se compléter, pour mieux nous perdre, et nous garder agrippés, et in fine nous offrir de percevoir un sens à ce tout savamment installé par l'auteur. Léo Henry fait lui-même partie de cet ensemble : il est le narrateur d'un des récits. Il se rend dans ce pays régulièrement, y a des amis, qui l'encouragent à écrire leur Histoire. Et il s'y attellera dès lors qu'il a trouvé une perspective nouvelle, la vie et l'histoire d'Oesterheld, si peu connu par le public français et européen. Ainsi sont enchâssés les deux autres récits : celui de la vie d'Oesterheld et de ses dernières années voire heures, et puis celui de l'aventure du personnage principal de L'Éternaute. Le voyage spatio-temporel de L'Éternaute durera éternellement, ce jeune homme ayant décidé de partir en quête de l'origine du problème, afin de le traiter et revenir chez lui dans un monde épargné par le mal qui l'allait ronger. Seulement le créateur de L'Éternaute va croiser son chemin. L'un et l'autre, éternels errants, ni morts ni vivants, sans sépulcre ni date de décès, comment pourraient-ils aider ou sauver l'autre !

Vous l'aurez compris, Oesterheld, militant, et ses quatre filles militantes, ont fait partie de ces desaparecidos de la dictature argentine. Il s'était refusé à quitter le pays quand Hugo Pratt a cherché à l'en faire sortir. Ces labyrinthes du temps que hante L'Éternaute se croisent avec les centres de détention et autres lieux à la destinée obscure.

Restera gravée en ma mémoire une scène du livre. L'Éternaute s'éveille dans un bâtiment. Il ne trouve pas de sortie. Puis arrivent les autres Éternautes, les autres lui-même débarqués d'autres temps et lieux de leur voyage. Ils se jaugent. Ils partagent leurs aventures respectives. Puis ils se rassemblent. Solidaires, ils tentent de trouver la sortie... Oui, j'ai été tant hantée que fascinée par cette scène : je voyais les desaparecidos sans nombre, sans nom, chercher la sortie du labyrinthe. Cette seule anecdote du roman de Léo Henry vous dira comme j'ai aimé le lire, m'y perdre comme on aime l'être, seule recette pour ne pas s'égarer, dans son destin d'Homme. Et puis, je sais que je désire maintenant connaître l’œuvre d'Hector, dont L'Éternaute !

HÉCTOR
Léo Henry
éd. Rivages, 2023

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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