Le Goûter du Lion, d’Ito Ogawa

« Quelques applaudissements isolés se sont élevés parmi les participants au goûter. Shima et Mai ont commencé à déposer les bols devant nous en nous souhaitant une bonne dégustation, et nous avons plongé nos cuillères dans le douhua. Un bloc tendre, juste tiède, légèrement sucré, qui glissait au fond de la gorge.
Comme de la neige, ai-je pensé.. »

La parution d'un nouveau roman d'Ito Ogawa est toujours une heureuse nouvelle pour les lecteurs, et pour ses fervents admirateurs. L'art de vivre a une grande place dans ses écrits, et se déploie autour de la cuisine, de l'écriture, de la nature. Mais le liant principal de toutes les histoires qu'elle imagine est la relation humaine, cette chose inexplicable qui relie les hommes et les femmes et rend leur vie plus belle, plus intense, plus profonde et délectable.
Dans Le Goûter du Lion, nous retrouvons tout cela, or ces ingrédients sont relevés par leur confrontation à une réalité invisible, la mort et la fin de vie. Ito Ogawa parvient à nous faire effleurer sa beauté et sa grandeur à tel point que son nouveau roman ouvrira le champ de nos horizons et nous donnera peut-être quelques idées de projets à mettre en œuvre !

Le roman s'ouvre sur l'arrivée de Shizuku sur l'île aux citrons, dans la région de Setouchi. Dès son arrivée elle est accueillie par Madonna, directrice de la Maison du lion, où elle s'installe. Progressivement nous apprenons que Shizuku est en fin de vie et a choisi cette maison comme promesse d'un bonheur, de joies qu'elle ne s'était peut-être pas encore permises. À ses côtés nous rencontrons les douceurs et délices proposés et concoctées par cet établissement singulier. On découvrira les paysages, les vignes et l'on apprendra à connaître les autres habitants du lieu. C'est un voyage qui s'opère, dans le temps, dans l'espace, mais surtout vers une autre dimension, c'est-à-dire un autre niveau de conscience et le détachement enjoué qui s'y joint.

Le récit est porté par la voix de Shizuku la majeure partie du livre mais nous aurons aussi quelques compléments de récit narrés par le père, la sœur ou le vigneron de l'île. Dans les deux cas nous sommes toujours avec Shizuku et une paix intérieure trouvée pas après pas, puis installée pour de bon et partagée avec l'entourage. L'écriture d'Ito Ogawa, comme toujours, rend la sérénité accessible et simple. Tout comme une évidence, la vérité à laquelle mène toute vie se libère des brumes et brouillards et se rend visible par temps dégagé et lumineux.

Cette Maison du lion est tout à fait extra-ordinaire. Mais plus on tourne les pages plus on se dit qu'elle devrait exister, telle qu'elle est imaginée dans le roman. Un lieu qui saurait accueillir le bonheur et les plus exquis plaisirs de la vie en son sein pour les offrir à ses résidents.
La cuisine est omniprésente, avec sa grâce et sa subtilité, son raffinement hors pair à la japonaise. Chacun peut demander son dessert préféré, celui qui a marqué sa vie, qui est tissé de fils de souvenir. Et la Maison du lion s'évertue à recréer ce délice, le faire connaître à tous pendant la séance du Goûter. Mais la musique s'invite aussi dans cette maison, tout comme le vin ou le café. Chacun de ces éléments est porté par un être humain. Rien ne peut être aussi délicieux que lorsqu'un accompagnement humain vient s'y joindre. Une grâce peut alors s'emparer du moment le plus anodin.

J'ai oublié de vous dire qu'un cheminement porte l'histoire. Car on s'ennuierait si Shizuku était parfaite et raisonnable du début à la fin. On la verra s'agacer, se fâcher, mal réagir ! Et on la verra trouver enfin cet animal de compagnie dont elle avait rêvé toute sa vie : Rokka, le héros du roman peut-être.
Tendresse, humanité, amour, partage et saveurs de la vie, tout cela qui trouve son souffle dans l'œuvre d'Ito Ogawa est de nouveau vibrant ici, dans Le Goûter du lion.

LE GOUTER DU LION
Ito Ogawa
Traduit du japonais par Déborah Pierret-Watanabe

éd. Piquier 2022 (v.o. 2019)

Les illustrations présentées dans l'article :
- Setouchi, Japon.,
- Installation Ryue Nishizawa au musée Teshima.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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